Slike stranica
PDF
ePub

ix

lisation, l'établissement du régime représentatif: il serait plus juste d'avouer que ce sont les peuples civilisés qui ont laissé se corrompre une institution aussi vieille que le monde.

La nécessité des assemblées générales a été reconnue et satisfaite chez toutes les nations. Les multitudes mêmes barbares se réunissent pour éclairer leurs chefs, pour se plaindre de leur commandement, enfin pour délibérer sur les besoins communs à toute la peuplade. Il est assez curieux de retrouver chez les sauvages l'exercice d'un droit naturel et l'accomplissement d'un devoir. En effet, dans une société, quelle qu'elle soit, la décision de tous n'existe que par la volonté de chacun, et si nul ne peut décider seul des intérêts qu'il partage avec plusieurs, nul ne peut non plus refuser le conseil ou l'avis que réclame l'avantage de tous. Cette espèce de gouvernement représentatif existe partout où s'établissent des individus, jusqu'à ce que le plus actif soit investi de la confiance des indolens. Il devient bientôt le plus fort, le plus respecté, et le despotisme qu'il exerce alors n'est que le résultat de la paresse de ses associés. A la différence près des formes et de l'éclat, les petites tribus et les grandes nations suivent absolument la même marche, que précipitent encore les progrès de la civilisation; car le dernier des bienfaits qu'elle apporte c'est la sagesse, la puissance des lois dans la combinaison des moyens de fortune et d'établissement de familles, dans l'enivrement où le jettent l'apparition des arts et les découvertes de la science, il serait difficile à un peuple nouveau de ne pas négliger les intérêts généraux du pays pour une foule d'intérêts particuliers. Mais le temps amène des revers, des tourmentes politiques, et l'on s'aperçoit alors de l'absence des institutions. C'est en vain que ce peuple cherche une ancre de salut; il la lui faut créer en reprenant son autorité première. Voilà la source des révolutions, que

l'Angleterre, et la France à son exemple, ont comblée par des constitutions représentatives. Combien d'efforts, de maux et de sacrifices, après tant de siècles d'existence sociale, pour revenir au premier vœu des peuples à leur formation! C'est que la force toujours croissante du despotisme égale au moins la gratitude et l'insouciance des peuples.

Dès que le despotisme s'élève il enchaine la représentation nationale; devient-il assez fort ou assez heureux pour s'affranchir de son appui, il la brise. S'il avait pu compter une succession nombreuse d'hommes d'un esprit vaste et d'une volonté absolue, il aurait fait perdre aux peuples jusqu'au souvenir de leurs droits. Mais des vues étroitement ambitieuses, des guerres injustes, de folles prétentions, des désordres administratifs, enfin la ruine de la fortune publique, signalent également les tyrannies méprisables et les brillantes dominations. De là le prince, entouré de dangers et privé de ressources, se voit dans l'obligation d'implorer l'avis du petit nombre, de réclamer les secours de la multitude. Quelque forme, quelque surprise que le despotisme apporte dans ces sortes d'appels au peuple, on y retrouve toujours le simulacre d'une représentation nationale: elle se montre brusquement, ne suit d'autres règles que des traditions, et cesse d'ètre avec la circonstance qui l'a provoquée; on n'établit point de bases, on n'institue pas, parce qu'on redoute la durée. Les assemblées de citoyens ont toujours été regardées par le pouvoir absolu comme un des fléaux qu'il devait le plus s'attacher à prévenir, à conjurer.

Si la représentation nationale ne peut jamais disparaître entièrement, où s'est-elle cachée, quelles métamorphoses a-t-elle subies en France pendant quatorze siècles? Elle existait chez les Gaulois, qui ne traitaient jamais des affaires de la république qu'en assemblées générales. On la retrouve chez les Francs, multitude con

xj

quérante qui élisait ses rois à la majorité des suffrages, partageait au sort les butins, et décidait de la paix ou de la guerre selon que les cris de la masse réclamaient du repos ou convoitaient quelque entreprise nouvelle. Ces champs de Mars n'étaient sans doute exempts ni de la brigue des ambitieux ni de l'influence des chefs, et là surtout le plus faux raisonnement, la prétention la plus injuste devait se soutenir et triompher par l'épée; mais si plusieurs faits, tels que celui du vase de Soissons, prouvent la violence du chef et la pusillanimité de ses lieutenans, on y voit aussi que la liberté d'opinion était acquise au simple soldat.

La représentation nationale se couvre de deuil après la conquête. Les chefs de l'armée continuent de se réunir en parliamens; mais les citadins et les paysans vaincus ne comptent encore pour rien dans ces assemblées, et ceux mêmes des Francs qui ont formé avec eux des éta-• blissemens ou des alliances n'y sont pas appelés, ou plutôt. négligent de s'y rendre on ne saurait trop répéter que cette insouciance, qui se retrouve dans tous les temps, est plus favorable au despotisme que ses combinaisons les plus déliées et les plus profondes.

Charlemagne, d'une âme trop généreuse, d'un esprit trop supérieur pour craindre la présence du peuple, essaie de relever la nation de son abaissement. Il appelle les députés des villes à ses Champs de Mars et de Mai, où les calculs de Pépin avaient déjà fait admettre les ministres de la religion. Dès lors les trois ordres, qui avaient ensemble rédigé et librement consenti les capitulaires, ou lois de l'Etat, auraient dû asseoir et perpétuer la représentation nationale. Mais elle est de nouveau comprimée sous les successeurs de Charlemagne : les hommes de guerre ressaisissent le droit injuste de la conquête; ils envahissent les terres, et morcellent le pouvoir; une république de princes se forme à l'instar de ces républiques de l'antiquité

>

[ocr errors]

dont la population se partageait en citoyens et en serfs; « mais, comme l'a dit un historien, ici la tête était privée de génie, les pieds manquaient de docilité, et l'esclavage ne pouvait plus exister que maintenu par la force. » Enfin la féodalité s'élève, elle règne, écrasant les peuples, et guerroyant contre les rois.

C'est pourtant de cette oligarchie de petits tyrans, d'autant plus absolu que d'un coup d'oeil ils embras-saient toutes leurs victimes; c'est de cet excès de désordre, d'anarchie et d'avilissement que sortira la voix publique, que renaîtra une représentation générale, comme conséquence nécessaire et naturelle de toute réunion d'individus. Les barons, possesseurs de bénéfices ou de fiefs, propriétaires d'arpens et d'individus, réintégrèrent un de leurs hommes, puis toute une famille dans son bon sens, moyennant une certaine somme d'écus: 'c'est ainsi que se traitait le rachat de la liberté individuelle. De leur côté les rois vendirent aux villes des priviléges ou des garanties contre les gens de guerre. Voilà d'une part des droits de citoyen, et de l'autre des droits de commune reconnus. Du moment qu'il y eut des affranchissemens et de nouvelles propriétés, il y eut des violations et des procès. Le droit de rendre la justice appartenait aux seigneurs et aux officiers de la couronne; mais ceux-ci, très ignorans, déléguèrent leurs fonctions à des citoyens studieux, à des clercs. De là des juges, des notables, parmi lesquels on choisit plus tard les représentans des bonnes villes. Enfin les pairs du royaume, souffrant impatiemment l'autorité du monarque qu'ils avaient élu, osèrent armer contre le trône : les rois flattèrent la multitude pour isoler les barons. Voilà des appels au peuple. Ainsi le besoin d'argent, la nécessité de faire administrer la justice, et le recours à l'opinion, indispensable même à la plus vigoureuse tyrannie, ces

xiij trois causes premières, inévitables, font reparaître et quelquefois briller la représentation nationale.

Les conseils de commune établis sous Louis-le-Gros, les parloirs de Louis IX, composés de bourgeois instruits, et institués pour gérer les affaires municipales, pour juger les affaires difficiles, furent bientôt consultés sur la levée et la répartition des impôts, sur les réclamations du peuple, sur les intérêts généraux du pays. Ensuite on appela leurs membres aux grands parlemens judiciaires établis par Philippe-le-Bel, mais seulement encore pour y remplir les fonctions d'assesseurs, de conseillers rapporteurs : ils instruisaient les causes; les nobles jugeaient. On voyait ainsi les grands vassaux, qui souvent refusaient de faire hommage à leur souverain, déposer leur fierté devant la seule puissance de l'instruction. Enfin, dans les circonstances où la situation du royaume réclamait les secours et l'union de toutes les classes, ces bourgeois étaient admis comme députés des villes aux Etats géné– raux; assemblées trop souvent inutiles dans leurs résultats immédiats, mais qui du moins, après la ruine des Champs de Mars et de Mai, ont attesté le besoin, l'existence de la représentation nationale; elles ont inter ́rompu la prescription dont le despotisme heureux prétendait la frapper.

On conçoit que la noblesse et le clergé se montraient aux États dans tout l'éclat de leurs priviléges, et que les députés du tiers, dont l'élection, le nombre et le choix restaient souvent à la disposition du pouvoir, s'y trouvaient heurtés, humiliés, quand ils ne se laissaient pas corrompre. Du reste on n'y connaissait pas le droit de discussion. Le roi, par l'organe de son ministre, faisait d'abord connaître l'objet de la convocation, puis ses désirs, qui ressemblaient à un édit. La parole était ensuite accordée à un orateur de chaque ordre, qui exposait très respectueusement les vœux et doléances de ses commettans, et

« PrethodnaNastavi »