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» Je n'ai pas lu de sangfroid ces paroles abominables, et dans mon indignation j'ai presque dít, sans aller plus loin : il y a un complot, il y a des coupables.

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»Revenu au calme qui me convient, je cours à la déposition de M. Mounier elle n'est pas concise; il n'est pas suspect de vouloir céler le crime; il dit tout ce qu'il sait, tout ce qu'il présume. Son silence m'apprend ce que je dois penser des deux dépositions que je cite.

» Si des bruits, si des ouï-dire, si des pressentimens sont ordinairement sans consistance dans la recherche des crimes, il faut peut-être s'en occuper davantage lorsqu'il s'agit de conspiration, dans les convulsions d'un gouvernement qui se renouvelle, et parmi les partis divers qui se disputent l'explication des événemens.

» Laissons les bruits; passons à des faits.

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» M. de La Salle, membre de l'Assemblée, a déposé que les ouvriers en fer de la salle de spectacle du Palais-Royal avaient été occupés à faire des piques depuis le 3 octobre ; c'est d'un sieur Durban que M. La Salle tient cela. Je cherche parmi les témoins produits le sieur Durban, je cherche les ouvriers indiqués, je cherche les conducteurs de ces ouvriers; je ne les trouve pas. Craignait-on d'être éclairé? On l'avait été par le serrurier Faure à l'égard des piques fabriquées au mois de juillet.

» Le 5 octobre, l'armée parisienne longeait Passy à l'entrée de la nuit; René-Remy Magin, qui marchait dans la ligne, remarqua que la maison de M. d'Orléans à Passy était éclairée extraordinairement, et il dit à ses camarades qu'on n'aurait pas fait mieux si le roi eût été dans cette maison, ou si l'on y eût préparé un bal.

>> On pourrait observer: 1° que le témoin ne dit pas avoir vu cette maison dans d'autres temps, à la même heure, et avoir pu faire comparaison; 2° que, tout étant en mouvement, une armée passant, lorsque quelque inquiétude se mêlait inévitablement à un spectacle inattendu, quelque lumière extraordinaire n'aurait été qu'une mesure de prudence; 3° qu'on devrait avoir plus d'un témoin d'un tel fait.

» Dans la même soirée, pendant que le sieur Maillard, environné de femmes, discourait à la barre de l'Assemblée, M. de Sillery dit que le roi venait de partir; M. Taillardat le nie, et M. de Sillery ne lui répond pas. De l'autre côté de la salle où passe M. Taillardat, il entend M. de Noailles donner la même nouvelle, et dire qu'il la tient de M. Malouet. Le lendemain M. Malouet proteste qu'il n'avait pas même parlé la veille à M. de Noailles.

» Il faut bien que cela signifie quelque chose, puisque M. Taillardat l'a soigneusement déposé; mais j'avoue que cela passe mes lumières.

» Je vous donne à deviner une autre énigme.

» MM. Claude-Louis de la Châtre, Mirabeau le jeune et Bouthillier la proposent.

» Dans la matinée du 5 octobre, un inconnu vient à M. l'abbé Sieyes, et lui dit que Paris est dans une grande agitation. Je le sais, répond M. l'abbé Sieyes, mais je n'y comprends rien ; ça marche en sens contraire.

» Il faut qu'il y ait là-dessous quelque mystère profond, car le Châtelet nous a donné ces expressions soulignées.

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Après les énigmes, je vous entretiens de prédictions; car il y a de tout dans le recueil que je parcours.

» Quelques jours avant le 6 octobre, un officier de la garde nationale de Versailles, chevalier de Saint-Louis, se présente au jeu de la reine; on le refuse à cause de son habit. » A cause de l'habit national! C'était peut-être une imprudence; on pouvait le refuser pour une autre cause.

>> Il montra des officiers de chasseurs en uniforme ; on lui répondit qu'ils étaient reçus comme appartenans à la garde actuelle du roi.

En se retirant mécontent il disait : nous verrons qui entrera dimanche; et il accompagnait ce propos d'un geste menaçant.

» C'est du sieur de Walt seul que nous tenons ce fait, et apparemment il en conclut que le voyage de Versailles était dès lors déterminé. Un propos et un seul témoin ne font peut-être pas charge. De plus on disait alors que les soldats des ci-devant gardes françaises se vantaient du projet de venir reprendre auprès du roi les postes qu'ils avaient occupés. S'ils avaient formé un complot pour cela, ce n'est pas celui que nous cherchons.

» Le sieur Blaizot, libraire, alla chez M. de Mirabeau dix à douze jours avant la fatale scène; ce dernier lui communiqua des craintes ; il croyait, disait-il, apercevoir qu'il y aurait des événemens malheureux à Versailles.

» Le sieur de Belleville, qui rapporte d'après Blaizot cette conversation, ajoute de son chef, pour rendre l'histoire plus - piquante, que M. de Mirabeau fit d'abord retirer trois secrétaires.

» Cette circonstance soustraite, dont Blaizot ne parle pas, il ne reste qu'une inquiétude, qu'on ne pouvait guère alors ne pas avoir. M. Malouet et sa société intime avaient aussi leurs noirs pressentimens, et nous n'y trouvons rien d'étrange.

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» M. de Mirabeau dit le 4 octobre, à l'hôtel de la Reine, en la présence du sieurGirin de la Motte, que sous peu d'heures on verrait bien des choses.

>> Ce dernier trait'n'est pas plus extraordinaire que celui qui précède. Je vois l'effet d'une appréhension universelle, que l'état des choses allait justifiant de plus en plus.

» Un particulier, regardant des livres chez Blaizot, disait : J'ai une lettre qui m'est venue d'un tel, dans laquelle il me marque qu'il a peur pour moi ; qu'il se répand qu'il doit arriver à Versailles des événemens sinistres, et il me prie de lui donner de mes nouvelles.

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» Blaizot, qui entendait ce propos, croit que la lettre venait de Toulouse.

» Or le sieur Labouche, citoyen de Versailles, était à Toulouse le 29 septembre. Il se proposait d'aller à Bordeaux, et comme il faisait connaître ce dessein, quelqu'un lui dit : Si vous êtes de Versailles, et que quelque chose vous y attache, vous ferez bien d'y retourner, car si vous allez à Bordeaux, et que vous y restiez quelques jours, vous ne retrouverez plus le roi à Versailles.

» Je saisis ces dernières expressions; elles expliquent tout; car alors on craignait en effet que le roi ne fût enlevé, et conduit à Metz par une faction, et peut-être vous ferai-je voir bientôt que ce n'était pas un simple bruit populaire.

» Voici un témoignage qui, dans le genre merveilleux, surpasse de loin des prédictions.

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»Le 28 septembre, une femme (Marguerite Andel, veuve Ravet « est abordée entre Auteuil et Passy par un inconnu ; » elle lui confie des chagrins. Il lui conseille d'avoir recours » aux bontés de M. d'Orléans, et lui offre une lettre de recom>> mandation; elle va avec lui à Versailles... Il la conduit par une rue qui est presque vis-à-vis la maison de M. d'Orléans ; après un certain trajet de chemin, près d'une église, il la » laisse là, lui d.sant de l'attendre. Un quart d'heure et demi après, il lui apporte une lettre à l'adresse de M. d'Orléans ; il lui dit que le prince reconnaîtra le cachet, en lui recom» mandant de ne la remettre qu'au prince, ou à M. de la » Touche, ou à Marcel, son valet de chambre; que si elle >> ne trouvait ni les uns ni les autres, elle le rejoindrait à la » grille de Montreuil... Le suisse la reçoit fort mal; elle va à une autre porte; elle trouve un postillon, qui lui dit que monseigneur est très généreux; que la veille une femme lui a présenté une lettre, et qu'à la vue du cachet il lui a >> remis dix louis. Le postillon lui indique un passage. Elle » demande à un des gens de monseigneur; il lui dit qu'elle ne

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» peut lui parler, lui demande de quelle part elle vient, et, ne pouvant le dire, elle est renvoyée. Elle va chez M. de la Touche; lui ni son valet n'y sont. Elle va au parc... Elle rompt le cachet; elle trouve un grand papier épais, au haut duquel » est une espèce de timbre en ovale, partagé par deux petites barres, entre lesquelles est écrit le mot Concordia; au >> dessus des deux barres est un demi-soleil, de la bouche duquel sortent deux lances qui traversent les deux barres, et >> passent aussi sur deux mains unies, symbole de la bonne foi, qui sont au dessous des deux barres. Au haut de l'ovale, en dehors, est une couronne ornée de trois fleurs-de-lis, dont » celle du milieu est renversée. D'un côté de l'ovale est un » double aigle, et de l'autre une femme tenant une ancre d'espérance; le tout imprimé. Le reste et moitié du verso » du premier feuillet de cette feuille de papier sont remplis » de chiffres, mêlés de caractères, qu'elle croit grecs, avec » des signatures et des paraphes. Elle met ce papier dans » sa poche. Sur la route de Marly, elle voit deux cava»liers ayant l'air de chercher quelqu'un, courant à bride » abattue... Ils demandent si l'on n'a pas vu une femme. Ils >> ralentissent leur course, et vont de côté et d'autre. Ils de» mandent de nouveau si l'on n'a pas vu une femme. Jugeant » alors que ce peut être elle que les cavaliers cherchent, elle » s'enfonce dans les charmilles, et coupe avec ses ciseaux en petits morceaux le papier qu'elle a trouvé dans l'enveloppe » et l'éparpille dans les charmilles. Plus loin les cavaliers » accourent, la saisissent, la fouillent dans ses poches, et jusque dans son estomac. »>

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»Je n'ai rien ajouté cette aventure est assurément étonnante; on se demande si l'on a bien entendu. Ce n'est rien: ily a dans la déposition de Marguerite Andel une autre aventure non moins touchante, et non moins singulière.

» Cette femme est elle-même un prodige; quelle mémoire! quelle justesse dans cette description du papier mystérieux! et c'est sur l'examen de quelques minutes, et après huit mois, qu'une ouvrière en linge vous rend tout cela, comme à l'académie de dessin!

» Je ne commenterai pas ce véridique récit; mais je remarquerai deux faits: 1° Marguerite Andel, appelée au comité des recherches, y fit sa déclaration le 4 janvier, et je n'y ai pas trouvé un mot de l'histoire du 28 septembre; 2o cette femme se présenta chez M. de Tonnerre dans le mois d'avril, et lui parla des événemens du 6 octobre, et même de cette autre aventure dont je vous ai dit que le détail est dans sa déposition, et elle ne lui parla point de celle-ci.

» Ces considérations ne laissent pas d'ajouter quelque chose à la vraisemblance du témoignage de Marguerite Andel, » Je poursuis mon énumération.

» Vous n'avez pas oublié, messieurs, que la loi de la succession au trône fut un instant l'objet de votre attention.

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» Je n'ai pas cru devoir vous rendre compte des dépositions que les juges du Châtelet ont reçues sur les discours proférés alors par les membres de l'Assemblée, soit dans son sein, soit dans leurs conférences particulières.

» Vous jouissez, vous devez jouir dans vos discours, comme dans vos opinions et dans vos travaux, de la plus entière liberté; rappeler ici ces discours, même pour les justifier, ce serait, en supposant que les juges ont pu en informer blesser votre droit ; et lorsque les tribunaux seront autorisés à aller jusque là, aussitôt il n'y aura plus d'Assemblée natio

nale.

» M. de Virieu et M. Henri de Longuève remarquent que, dans les délibérations de la première séance du 5 octobre, ils furent frappés de la roideur d'opinions qui se manifestait dans une partie de l'Assemblée nationale.

» Je relève cc témoignage particulier, parce qu'il est grave dans ce qu'il dit, et plus encore dans ce qu'il ne dit pas.

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Quel rapport veut-on établir entre la disposition des esprits dans l'Assemblée nationale, et une insurrection ignorée encore par ceux qui n'auraient pas été instruits du mystère qui la préparait?

»Je ne sais que vous dire; une définition me semble périlleuse il y a de l'indiscrétion peut-être dans ces dépositions si elles sont insignifiantes; si la réticence intervient, je n'ose la qualifier.... Je m'arrête; ma mission n'est pas de justifier l'Assemblée nationale, qui n'en a pas besoin.

» Vous allez entendre des révélations qui partent de votre comité des recherches.

>> On a vu des plaques de métal aux armes d'Orléans;_trois honorables membres de l'Assemblée, MM. Taillardat, Henri et Turpin, ont consigné cette découverte dans l'information. Je me suis d'abord figuré des marques d'une chevalerie nouvelle, quelque signe de ralliement entre des conjurés j'ai vu de lourdes masses.

» On est allé à la source, et l'on a su qu'elles avaient été ordonnées en 1788. et destinées à marquer des limites, attachées à cet effet à des poteaux ; on a su que le sieur Simon graveur, en fit le modèle, et qu'elles furent exécutées dans l'hiver suivant en plomb par le sieur Rousseau, et en fonte par le sieur Gibiard.

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