Slike stranica
PDF
ePub

AVANT-PROPOS.

Il n'y a point d'éloquence délibérative sans débats parlementaires; il n'y a point d'histoire sans représentation nationale.

Les rapports présentés au roi dans son conseil, ces grands travails de cabinet longtemps élaborés, refaits plusieurs fois, et combinés de manière qu'ils échappent à l'objection sans respecter la vérité, peuvent sans doute offrir des beautés de style, des vues profondes, des combinaisons ingénieuses; mais on n'y trouve point ces mouvemens qui partent de l'âme, ces aperçus brillans et justes qui naissent dans la discussion, cette abondance de preuves et de faits, enfin cette chaleur, cette vie qui annonce, dans le discours d'un seul, la présence et le secours des inspirations de plusieurs. Il en est de la tribune comme du champ de bataille : ici le pusillanime devient souvent un héros; là un mince discoureur se montre orateur éloquent, parce qu'il voit tout un peuple qui l'écoute.

Et que sont les annales d'un peuple quand elles ne renferment que la biographie des rois, de leurs ministres, de leurs maîtresses? C'est pour ainsi dire un acte d'accusation sans plaidoyer, sans défense. Les peuples foulés ont poussé des cris: on ne les entend point. Ils n'ont rien approuvé : on les voit complices. Leurs magistrats, corrupteurs ou corrompus, leur ont prêté des sermens qu'ils n'ont point faits. Et cependant on accuse leur éternel dévouement: autant leur demander pourquoi ils ont vécu, pourquoi ils ont été braves. Qu'un peuple soit affligé de

quelque tyran belliqueux, il lui donnera des armées pour fixer les chances de la guerre, parce que le despotisme national est toujours préférable aux chaînes de l'étranger, et que la gloire d'un pays est la plus grande consolation de ses misères. Que si, au contraire, le hasard vient à lui dispenser un chef pacifique et généreux, il s'abandonnera confiant dans les douceurs d'une autorité tutélaire: il répugne aux peuples de s'armer contre la vertu. C'est ainsi que la France a traversé les temps de guerre avec éclat, et que les temps de paix ont encore été perdus pour ses institutions; elle est restée des siècles entiers sans exercer cette politique naturelle qui réside dans une inquiétude patriotique, dans les généreux soupçons que provoque l'amour de la liberté.

Cependant, à une grande et mémorable époque, les Français se sont tout à coup réveillés citoyens. Alors ils ont repris leurs droits avec violence. Mais, privés d'institutions qu'ils pussent faire revivre, de contrat dont ils pussent réclamer l'exécution, ils n'avaient que deux routes à suivre, ou de continuer l'esclavage de leurs pères, ou de recommencer l'histoire des peuples libres. Doit-on s'étonner d'avoir vu des Brutus ou des Gracques quand on a cessé de voir des ilotes? Lorsque les peuples auront des annales qui leur soient propres, ils auront une expérience; et ces annales ne se formeront qu'autant voix publique sera entendue. Elle ne peut l'être que dáns les Assemblées nationales, dans les discussions parlementaires; car il n'en est pas de ces sortes de combats comme de ceux que décident ou la force ou le hasard : le guerrier vaincu ne laisse que le souvenir de sa honte; l'orateur du peuple reste victorieux, même dans la retraite, s'il a proclamé un principe juste, arraché au pouvoir、 un secret honteux, et fait briller une vérité consolante. L'histoire a recueilli; la postérité héritera.

la

On admire aujourd'hui, comme un bienfait de la civi

ix

lisation, l'établissement du régime représentatif: il serait plus juste d'avouer que ce sont les peuples civilisés qui ont laissé se corrompre une institution aussi vieille que le monde.

La nécessité des assemblées générales a été reconnue et satisfaite chez toutes les nations. Les multitudes mêmes barbares se réunissent pour éclairer leurs chefs, pour se plaindre de leur commandement, enfin pour délibérer sur les besoins communs à toute la peuplade. Il est assez curieux de retrouver chez les sauvages l'exercice d'un droit naturel et l'accomplissement d'un devoir. En effet, dans une société, quelle qu'elle soit, la décision de tous n'existe que par la volonté de chacun, et si nul ne peut décider seul des intérêts qu'il partage avec plusieurs, nul ne peut non plus refuser le conseil ou l'avis que réclame l'avantage de tous. Cette espèce de gouvernement représentatif existe partout où s'établissent des individus, jusqu'à ce que le plus actif soit investi de la confiance des indolens. Il devient bientôt le plus fort, le plus respecté, et le despotisme qu'il exerce alors n'est que le résultat de la paresse de ses associés. A la différence près des formes et de l'éclat, les petites tribus et les grandes nations suivent absolument la même marche, que précipitent encore les progrès de la civilisation; car le dernier des bienfaits qu'elle apporte c'est la sagesse, la puissance des lois dans la combinaison des moyens de fortune et d'établissement de familles, dans l'enivrement où le jettent l'apparition des arts et les découvertes de la science, il serait difficile à un peuple nouveau de ne pas něgliger les intérêts généraux du pays pour une foule d'intérêts particuliers. Mais le temps amène des revers, des tourmentes politiques, et l'on s'aperçoit alors de l'absence des institutions. C'est en vain que ce peuple cherche une ancre de salut; illa lui faut créer en reprenant son autorité première. Voilà la source des révolutions, que

x

l'Angleterre, et la France à son exemple, ont comblée par des constitutions représentatives. Combien d'efforts, de maux et de sacrifices, après tant de siècles d'existence sociale, pour revenir au premier vœu des peuples à leur formation! C'est que la force toujours croissante du despotisme égale au moins la gratitude et l'insouciance des peuples.

Dès que le despotisme s'élève il enchaîne la représentation nationale; devient-il assez fort ou assez heureux pour s'affranchir de son appui, il la brise. S'il avait pu compter une succession nombreuse d'hommes d'un esprit vaste et d'une volonté absolue, il aurait fait perdre aux peuples jusqu'au souvenir de leurs droits. Mais des vues étroitement ambitieuses, des guerres injustes, de folles prétentions, des désordres administratifs, enfin la ruine de la fortune publique, signalent également les tyrannies méprisables et les brillantes dominations. De là le prince, entouré de dangers et privé de ressources, se voit dans l'obligation d'implorer l'avis du petit nombre, de réclamer les secours de la multitude. Quelque forme, quelque surprise que le despotisme apporte dans ces sortes d'appels au peuple, on y retrouve toujours le simulacre d'une représentation nationale: elle se montre brusquement, ne suit d'autres règles que des traditions, et cesse d'ètre avec la circonstance qui l'a provoquée; on n'établit point de bases, on n'institue pas, parce qu'on redoute la durée. Les assemblées de citoyens ont toujours été regardées par le pouvoir absolu comme un des fléaux qu'il devait le plus s'attacher à prévenir, à conjurer.

Si la représentation nationale ne peut jamais disparaître entièrement, où s'est-elle cachée, quelles métamorphoses a-t-elle subies en France pendant quatorze siècles? Elle existait chez les Gaulois, qui ne traitaient jamais des affaires de la république qu'en assemblées générales. On la retrouve chez les Francs, multitude con

xj

quérante qui élisait ses rois à la majorité des suffrages, partageait au sort les butins, et décidait de la paix ou de la les cris de la masse réclamaient du que guerre selon repos ou convoitaient quelque entreprise nouvelle. Ces champs de Mars n'étaient sans doute exempts ni de la brigue des ambitieux ni de l'influence des chefs, et là surtout le plus faux raisonnement, la prétention la plus injuste devait se soutenir et triompher par l'épée; mais si plusieurs faits, tels que celui du vase de Soissons, prouvent la violence du chef et la pusillanimité de ses lieutenans, on y voit aussi que la liberté d'opinion était acquise au simple soldat.

La représentation nationale se couvre de deuil après la conquête. Les chefs de l'armée continuent de se réunir en parliamens; mais les citadins et les paysans vaincus ne comptent encore pour rien dans ces assemblées, et ceux mêmes des Francs qui ont formé avec eux des établissemens ou des alliances n'y sont pas appelés, ou plutôt négligent de s'y rendre : on ne saurait trop répéter que cette insouciance, qui se retrouve dans tous les temps, est plus favorable au despotisme que ses combinaisons les plus déliées et les plus profondes.

Charlemagne, d'une âme trop généreuse, d'un esprit trop supérieur pour craindre la présence du peuple, essaie de relever la nation de son abaissement. Il appelle les députés des villes à ses Champs de Mars et de Mai, où les calculs de Pépin avaient déjà fait admettre les ministres de la religion. Dès lors les trois ordres, qui avaient ensemble rédigé et librement consenti les capitulaires, ou lois de l'Etat, auraient dû asseoir et perpétuer la représentation nationale. Mais elle est de nouveau comprimée sous les successeurs de Charlemagne : les hommes de guerre ressaisissent le droit injuste de la conquête; ils envahissent les terres, et morcellent le pouvoir; une république de princes 'se forme à l'instar de ces républiques de l'antiquité

« PrethodnaNastavi »