Slike stranica
PDF
ePub

VRHSITÉ

DE GAND.

ANNUAIRE PHILOSOPHIQUE

Janvier 1867

ENSEIGNEMENT

DE LA PERSONNALITÉ HUMAINE

(LEÇON DE M. CARO A LA SORBONNE)

Le professeur distingue deux éléments dans la personnalité : la liberté, par laquelle l'individualité s'affranchit dans une certaine mesure de la nécessité physique; et la loi propre à la liberté. C'est par cette loi que se complète et se consacre la personnalité humaine. Mais de quelle sorte est cette loi? Évidemment elle doit avoir des caractères spéciaux, puisque le sujet auquel elle s'applique, la personne humaine, est placé en dehors du règne de la nature, où s'accomplissent toutes les autres lois connues. A chacun des degrés de l'être, à chaque manifestation de l'existence et de la vie correspond un certain groupe de lois spéciales.

Quand Montesquieu a dit : « Les lois sont, dans la signification la plus étendue du mot, les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses, » il a jeté un de ces traits de lumière qu'on n'a pour ainsi dire qu'à appliquer successivement à tous les groupes d'êtres et à toutes les formes d'individualité, pour qu'aussitôt leurs lois se déterminent, car les lois ne font qu'exprimer les conditions de l'existence. Quand Montesquieu a dit cela, il ne pensait sans doute qu'aux lois politiques et civiles; mais en même temps qu'il définissait la loi dans une série et dans un ordre de phénomènes, sa définition était puisée à une telle profondeur qu'elle reste immortellement vraie, à quelque ordre de phénomènes, à quelque monde qu'elle s'applique.

Les lois civiles et politiques, dans leurs diversités, expriment bien sans doute d'une manière générale l'essence de la per

sonnalité humaine, c'est-à-dire l'essence d'un agent libre, d'un agent raisonnable; c'est là l'idéal qu'elles poursuivent dans leurs progrès constants; mais dans la réalité des faits, elles sont obligées, par la nature des choses, de s'accommoder à certaines variétés de développement social, à certaines conditions de climat et de race. Ces variétés, cette fatalité seront vaincues dans une certaine mesure, et c'est là le progrès de la justice et de la conscience humaines que d'être graduellement victorieuses des fatalités de la nature.

Ce que Montesquieu a dit des lois civiles et politiques, on pourrait l'appliquer à toutes les lois possibles, par exemple aux lois du monde physique. Mais ici on nous arrête : « Comment, nous dit-on, les lois de la nature seraient-elles les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses. puisqu'elles sont contingentes? » Un mot d'explication en passant.

Dans quel sens est-il vrai de dire que ces lois sont contingentes? Dans quel sens peut-on dire que les lois physiques auraient pu être autrement qu'elles ne sont? C'est à la condition que les substances et que les forces auxquelles elles s'appliquent n'auraient été ni ces substances ni ces forces. Il n'est pas contradictoire sans doute de supposer un autre monde, un autre ordre de phénomènes; mais dès que cet ordre se réalise, ce monde apporte avec soi sa législation nécessaire qui n'est que l'expression de ses conditions d'existence, des propriétés qui sont l'essence propre de ces substances et de ces forces. Ce qu'il y a de contingent dans une loi physique, c'est l'ordre lui-même des phénomènes auxquels s'applique cette loi; mais, cet ordre posé, toutes ses lois en dérivent nécessairement. Ainsi il est vrai, pour les lois de tous les ordres et de tous les mondes, qu'elles sont les rapports qui dérivent de la nature des choses, qu'elles sont en corrélation directe avec cette nature des choses, et qu'il y a dans l'univers une série ascendante de lois correspondant à la série des formes individuelles.

Dans le monde inorganique, nous trouvons à peine des individus, nous y trouvons des ombres d'individus. La nature à ce degré ne semble s'intéresser ni à la conservation, ni à la destruction des corps. Un corps inorganique est un composé

*

de molécules; mais chacune de ces parties est indifférente au tout; elle n'aide pas à un résultat d'ensemble; chacune de ses parties se suffit à elle-même; elle porte en elle-même toutes les propriétés, toutes les énergies physiques ou chimiques, tout le développement des lois propres à ce corps. Ainsi, chaque partie est égale en un sens au tout, c'est-à-dire que chaque partie est physiquement ou chimiquement ce que le tout est lui-même. On comprend donc qu'à ce degré il y ait plutôt de l'être que des êtres. Tout se réduit à certains ensembles, certaines configurations, certains groupes de molécules éternellement traversées par un flux continuel de mouvement qui se communique aux molécules voisines; de là une série indéfinie de rapports liés ensemble, qui par leur complexité produisent l'ordre des fatalités physiques, telles qu'elles se déploient devant nous.

Ce qu'il y a de constant, de permanent dans le monde inorganique, ce n'est pas l'être lui-même, l'individu, c'est la relation des phénomènes. Oui, à ce degré de l'être, ce sont les lois qui représentent ce qu'il y a de stable, de constant. S'il y a des êtres, ces êtres sont les lois.

Héraclite, frappé de cette transformation perpétuelle de mouvements qu'il expliquait incomplétement sans doute, finit par ne plus voir au sein de la nature que le spectacle mélancolique d'une mobilité sans fin et sans repos. Пávτa péel, disait-il. En un sens il avait raison; cependant Platon, qui vient compléter sa pensée, avait raison aussi lorsqu'il lui répondait : « Oui, tout s'écoule et tout change! tout se transforme; tout est en proie à une mobilité sans fin, tout, excepté l'idée, la loi, tò övtws öv. Platon avait raison contre Héraclite, voilà ce qui est stable, permanent, dans la métamorphose perpétuelle à laquelle la nature est livrée; et quand nous cherchions le principe de la fixité et de la permanence dans le monde des phénomènes physiques, quand nous cherchions où était l'individualité, cette individualité nous fuyait sans cesse. Nous nous demandions où était ce point d'arrêt dans l'écoulement des phénomènes, nous ne le trouvions pas. Le point d'arrêt, nous l'avons enfin trouvé; les phénomènes ne constituent pas des êtres véritables. Pour les trouver, il faut arriver jusqu'aux lois, qui sont, comme on l'a dit, les véri

tables êtres de la nature. Si nous nous élevons jusqu'au monde organique, ici nous sommes devant un spectacle tout nouveau. Ici, nous trouvons un principe d'individualité fixe et permanent, la forme vivante, réglée par des lois spéciales. Il n'y a pas là, comme on l'a dit, une suspension de lois physiques ou chimiques; non, car dans le monde de l'organisme et de la vie les lois physiques ou chimiques ne s'interrompent pas, elles continuent, mais leur direction est subordonnée à des idées de plus en plus visibles de la nature, qui s'expriment par des lois physiologiques.

Dans la nature inorganique, l'idée, l'intention de la nature ne se révèle pas clairement à nous. Sans doute, il y a de la finalité; mais son but est si loin de nos yeux, si éloigné de notre expérience, qu'on peut dire qu'il nous échappe; de là cet aspect indifférent et glacé de la nature, tant que nous ne l'avons pas transformée en y portant notre imagination ou notre sensibilité. Mais là où la finalité se révèle clairement, c'est dans le monde organique, par des lois qui sont encore de la fatalité, mais de la fatalité de plus en plus intentionnelle, de plus en plus pénétrée de pensée et de moralité.

Ici la nature montre qu'elle n'est plus pour ainsi dire aveugle et insensible, qu'elle n'est plus indifférente comme elle l'était à la destruction ou à la recomposition des corps; ici il y a comme une providence spéciale de la nature qui veille et sur l'individu et sur l'espèce.

Nous avons dit que ces lois manifestaient une tutelle spéciale de la nature pour la conservation de l'individu et pour celle de l'espèce. Cela est vrai en général; mais, remarquons-le, cela n'est complétement vrai qu'aux degrés élevés du monde organique. Dans les régions inférieures du monde organique, la loi physiologique ne manifeste de sollicitude spéciale que pour l'espèce; elle montre une certaine indifférence pour l'individu. La nature semble abandonner l'individu aux chances innombrables de destruction qu'il porte en lui-même ou qu'il rencontre autour de lui. Mais en revanche, sollicitude infinie des lois physiologiques pour protéger non pas ce faible et chétif individu, mais l'espèce dont cet individu est comme le mandataire au sein de la nature; et, alors, fécondité prodigieuse et sans limite; et alors toutes sortes d'instincts conservateurs de

« PrethodnaNastavi »