Slike stranica
PDF
ePub

Madame Scaliger va-t-elle au spectacle? a-t-elle vu la pièce de M. Hume?

deux jésuites en paradis, du haut d'une échelle; | à la fin du premier acte; on s'y attendait. Je vous mais serait-il vrai qu'un corps considérable eût suppiie de lui faire rendre son droit. été battu par les Hessois, Daun par Luc, Bussi par les Anglais, à Pondichéri? Cela est dur; mais si les infâmes sont battus, je me console. Mais je ne me console point d'être loin de ma belle philosophe et de mon cher Habacuc. Je la suis en idée dans ses beaux bois, au bord de sa rivière, et mon idée est toujours remplie d'elle.

A MADAME LA COMTESSE DE LUTZEL-
BOURG.

Aux Délices, 2 août.

On n'a pas plutôt appris une bonne nouvelle, madame, que vingt mauvaises viennent l'effacer. Est-il vrai que la discorde est dans notre armée, pour nous achever de peindre? On m'avait dit que la moitié de Dresde était réduite en cendres; heureusement il n'y a eu que les faubourgs de saccagés.

Où est monsieur votre fils? vous savez combien je m'intéresse à lui. Puissent nos sottises ne lui être pas funestes ! J'ai encore l'espérance d'être chez vous à la fin de septembre. Je voudrais, madame, vous engager dans une infidélité. Je veux vous proposer de me faire avoir une copie du portrait de madame de Pompadour. N'y aurait-il point quelque petit peintre à Strasbourg qui fût un copiste passable? Je serais charmé d'avoir dans ma petite galerie une belle femme qui vous aime, et qui fait autant de bien qu'on dit de mal d'elle. On parle de troupes envoyées contre le parlement de Normandie; je les aimerais mieux contre le parlement d'Angleterre.

Portez-vous bien, madame; laissez le monde en proie à ses fureurs et à ses sottises. Que j'ai d'envie de venir causer avec vous !

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

3 aout.

Mon archange, que votre volonté soit faite sur le théâtre comme ailleurs! Je vois que votre règne est advenu, et que les méchants ont été confondus;

N'avez-vous pas grondé M. le duc de Choiseul de ce que la Chevalerie traîne dans les rues, et de ce que l'abbé Mords-les est encore sédentaire?

Il ne me paraît pas douteux à présent qu'il ne faille donner à Tancrède le pas sur Médime. On m'écrit que plusieurs fureteurs en ont des copies dans Paris; les commis des affaires étrangères, n'ayant rien à faire, l'auront copiée. Il faut, je crois, se presser. Je ne crois pas qu'il y ait un libraire au monde capable de donner sept louis à un inconnu ; en tout cas, si Prault trouve grâce devant vos yeux, qu'il imprime Tancrède, après qu'il aura été applaudi ou sifflé. Vous êtes le maître de Tancrède et de moi, comme de raison.

J'ignore encore, en vous fesant ces lignes, si j'aurai le temps de vous envoyer par ce courrier les additions, retranchements, corrections, que j'ai faits à la Chevalerie; si ce n'est pas pour cette poste, ce sera pour la prochaine.

Savez-vous bien à quoi je m'occupe à présent? à bâtir une église à Ferney; je la dédierai aux anges. Envoyez-moi votre portrait et celui de madame Scaliger, je les mettrai sur mon maître-autel. Je veux qu'on sache que je bâtis une église, je veux que mons de Limoges le dise dans son discours à l'académie, je veux qu'il me rende la justice que Le Franc de Pompignan m'a refusée. J'avoue que je ressemble fort aux dévots, qui font de bonnes œuvres, et qui conservent leurs infâmes passions.

Il entre un peu de haine contre Luc dans ma politique. Je vous avoue que, dans le fond du cœur, je pourrais bien penser comme vous; et, entre nous, il n'y a jamais eu rien de si ridicule que l'entreprise de notre guerre, si ce n'est la manière dont nous l'avons faite sur la terre et sur l'onde. Mais il faut partir d'où l'on est, et être le très humble et très obéissant serviteur des événements. Il arrive toujours quelque chose à quoi on ne s'attend point, et qui décide de la conduite des hommes. Il faudrait être bien hardi à présent pour avoir un système. Je me crois aujourd'hui le meilleur politique que vous ayez en France; car j'ai su me rendre très heureux, et me moSi j'avais pu prévoir ce petit succès; si, en bar- quer de tout. Il n'y a pas jusqu'au parlement de bouillant l'Écossaise en moins de huit jours, j'a- Dijon à qui je n'aie résisté en face; et je l'ai fait vais imaginé qu'on dût me l'attribuer, et qu'elle désister de ses prétentions, comme vous verrez pût être jouée, je l'aurais travaillée avec plus de par ma réponse ci-jointe à M. de Chauvelin. Mon soin, et j'aurais mieux cousu le cher Fréron à l'in-cher ange, je vous le répète, il ne me manque que trigue. Enfin je prends le succès en patience. J'o- de vous embrasser; mais cela me manque horriserais seulement desirer que madame Alton parût blement.

Et pour vous souhaiter tous les plaisirs ensemble,
Soit à jamais hué quiconque leur ressemble !

A MADAME DE FONTAINE,

Aux Délices, 4 août. Avez-vous reçu, ma chère nièce, un paquet dans lequel il y avait un exemplaire de l'Histoire du Czar, avec un autre?

Vous venez de perdre votre oncle Montigni ; il faut bien s'accoutumer à perdre ses oncles, et que la loi de nature s'accomplisse; nous en sommes actuellement aux cousins. Daumart est condamné à mort par la Tournelle de Tronchin. Qui aurait cru que ce jeune homme de vingt ans passerait avant moi !

Je ne sais aujourd'hui aucune nouvelle. Le roi de Prusse m'a écrit, en rentrant de Saxe; il me paraît de bien mauvaise humeur. Tout le monde desire une paix qu'il me paraît presque impossible de faire ; vous savez que M. de Montmartel répond des fonds pour l'année prochaine. Le crédit est la base de tout, et ce crédit n'est qu'entre ses mains. Il fera sans doute des élèves qui auront son secret. La France a de grandes ressources, et elle en aura toujours, même malgré la perte de sa marine. Nous n'avions point de marine du temps de Henri iv, et cependant ce grand roi fut l'arbitre de l'Europe. On n'est occupé à Paris que de plaisirs et de murmures.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

6 août.

C'est pour vous dire, ô ange gardien ! que la Chevalerie est lue à l'armée, tous les soirs, quand on n'a rien à faire; c'est pour vous dire qu'il y en a trente copies à Versailles et à Paris, et que je prétends que M. le duc de Choiseul répare, par ses bontés, le tort qu'il m'a fait.

Il n'y a donc pas à balancer, il n'y a donc pas de temps à perdre; il faut donc jouer, il faut donc hasarder les sifflets, sans tarder une minute. Par tous les saints, la fin de Tancrède est une claironnade terrible. Imaginez donc cette Melpomène désespérée, tendre, furieuse, mourante, se jetant sur son ami, se relevant en envoyant son père au diable, lui demandant pardon, expirant dans les convulsions de l'amour et de la fureur ; je le dis, ce sera une claironnade triomphante.

Vous avez dû recevoir mon gros paquet par M. de Chauveljn.

Au reste, je désapprouve fort les tribunaux normands.

Ma foi, juge et plaideurs, il faudrait tout lier.

RACINE, les Plaideurs, acte 1, scène 8.

Mon divin ange, il ne faudrait pas jouer l'Ecossaise trois fois la semaine ; c'est bien assez de siffler, deux fois en sept jours, l'ami Fréron.

Je pris le premier dimanche du mois pour le second, dans mon dernier paquet, je datai 40; j'en demande pardon à la chronologie.

Dites-moi, je vous prie, ce qu'on fait de l'abbé Morellet.

Mille tendres respects aux anges.

A MADAME LA MARQUISE DU DEFFAND.

6 aout.

Si la guerre contre les Anglais nous désespère, madame, celle des rats et des grenouilles est fort amusante. J'aime à voir les impertinents bernés et les méchants confondus. Il est assez plaisant d'envoyer du pied des Alpes à Paris des fusées volantes qui crèvent sur la tête des sots. Il est vrai qu'on n'a pas visé précisément aux plus absurdes et aux plus révoltants; mais patience, chacun aura son tour, et il se trouvera quelque bonne âme qui vengera l'univers, et le président Le Franc de Pompignan, et Fréron.

On ne parle que de remontrances; je vous avoue que je ne les aime pas dans ce temps-ci, et que je trouve très impertinent, très lâche, et très absurde, qu'on veuille empêcher le gouvernement de se défendre contre les Anglais, qui se ruinent à nous assommer. La nation a été souvent plus malheureuse qu'elle ne l'est, mais elle n'a jamais été si plate.

dans

Tâchez, madame, de rire, comme moi, de tant de pauvretés en tout genre. Il est vrai que, l'état où vous êtes, on ne rit guère; mais vous soutenez cet état, vous y êles accoutumée, c'est pour vous une espèce nouvelle d'existence; votre âme peut en être devenue plus recueillie, plus forte, et vos idées plus lumineuses. Vous avez sans doute quelques excellents lecteurs auprès de vous; c'est une consolation continuelle; vous devez être entourée de ressources.

Nous avons dans Genève, à un demi-quart de lieue de chez moi, une femme de cent deux ans qui a trois enfants sourds et muels. Ils font conversation avec leur mère, du matin au soir, tantôt en remuant les lèvres, tantôt en remuant les doigts, jouent très bien tous les jeux, savent toutes les aventures de la ville, et donnent des ridicules à leur prochain aussi bien que les plus grands babillards; lèvres ; en un mot, ils sont fort boune compagnie. ils entendent tout ce qu'on dit au remuement des

M. le président Hénault est-il toujours bien. sourd ? du moins il est sourd à mes yeux, mais je lui pardonne d'oublier tout le monde, puisqu'il est avec M. d'Argenson.

A propos, madame, digérez-vous? Je me suis

aperçu, après bien des réflexions sur le meilleur des mondes possibles, et sur le petit nombre des élus, qu'on n'est véritablement malheureux que quand on ne digère point. Si vous digérez, vous êtes sauvée dans ce monde; vous vivrez longtemps et doucement, pourvu surtout que les boulets de canon du prince Ferdinand, et des flottes anglaises, n'emportent pas le poignet de votre payeur des rentes.

Je n'ai nul rogaton à vous envoyer, et je n'ai plus d'ailleurs d'adresses contre-signantes; tant on se plaît à réformer les abus! Je suis, de plus, occupé du czar Pierre, matelot, charpentier, législateur, surnommé le Grand. Ayant renoncé à Paris, je me suis enfui aux frontières de la Chine; mon esprit a plus voyagé que le corps de La Condamine. On dit que ce sourdaud veut être de l'académie française; c'est apparemment pour ne pas nous entendre.

Heureux ceux qui vous entendent, madame! je sens vivement la perte de ce bonheur; je vous aime malgré votre goût pour les feuilles de Fréron. On dit que l'Écossaise, en automne, amène la

cbute des feuilles.

Mille tendres et sincères respects.

A M. DAMILAVILLE.

A Ferney, 6 août.

Je suis extrêmement sensible, monsieur, à toutes les marques d'attention que vous voulez bien me donner. Je n'ai point vu mes lettres, que le sieur Palissot a jugé à propos d'imprimer; je doute fort qu'il ait conservé la pureté du texte. On dit aussi qu'on a imprimé un factum de Ramponeau, dans lequel on a tronqué plusieurs passages, et étrangement altéré le style de cet illustre cabaretier. Comme je suis tout à fait son serviteur, en qualité de bon Parisien, je suis fâché qu'on ait défiguré son ouvrage.

On me parle beaucoup de la comédie de l'Ecossaise, traduite de l'anglais de M. Hume, prêtre écossais. On prétend que le sieur Fréron veut absolument se reconnaître dans cette pièce; mais comment peut-il penser qu'on ose dire du mal d'un homme comme lui, qui n'en a jamais dit de personne? Je n'ai point vu la Requête du sieur Carré, traducteur de l'Écossaise, contre le sieur Fréron; on dit qu'elle est très honnête et très mesurée.

J'ai oublié, monsieur, votre demeure; mais je suppose que ma réponse ne vous en sera pas moins remise. J'ai l'honneur d'être bien véritablement, monsieur, votre, etc. V.

A M. THIERIOT.

A Ferney, 8 août. Vous ne me dites point qu'on a joué l'Ecos saise, qu'il a paru une Requête aux Parisiens, de Jérôme Carré, traducteur de l'Écossaise ; qu'on a imprimé une pièce de vers intitulée le Russe à Paris; vous ne me dites rien de Protagoras, de l'abbé Mords-les; de l'évêque limousin qui va succéder, dans l'académie, à frère Jean des Entommeures de Vauréal, et qui aura sa tape s'il pompignanise; en un mot, vous ne me dites rien du tout. Réveillez-vous, mon ancien ami ; instruisez-moi. Paris est-il toujours bien fou? comment vont les remontrances? où en sont les guerres des grenouilles et des rats? que dit-on de Luc? que font le grand Fréron et le sublime Palissot? Pour moi, je mets tout aux pieds du crucifix. Je bâtis une église; ce ne sera pas Saint-Pierre de Rome; mais le Seigneur exauce partout les vœux des fidèles; il n'a pas besoin de colonnes de porphyre et de candelabres d'or. Oui, je bâtis une église;

annoncez cette nouvelle consolante aux enfants d'Israël; que tous les saints s'en réjouissent. Les méchants diront sans doute que je bâtis cette église dans ma paroisse pour faire jeter à bas celle qui me cachait un beau paysage, et pour avoir une grande avenue; mais je laisse dire les impies, et je fais mon salut.

Je n'ai point vu la Sœur du pot; mais on m'a envoyé un avis de parents assez plaisant pour faire interdire le sieur de Pompignan, au sujet de sa prose et de ses vers. Vous, qui êtes au centre des belles choses, n'oubliez pas le saint solitaire de Ferney, et joignez vos prières aux miennes.

Vraiment, j'oubliais de vous demander s'il est vrai que Palissot ait été assez humble pour imprimer mes lettres, et s'il n'a pas altéré la pureté du texte. Scribe. Vale.

A M. DE MAIRAN.

A Tournay, 9 août. Je vous remercie bien sensiblement, monsieur, d'une attention qui m'honore, et d'un souvenir qui augmente mon bonheur dans mes charmantes retraites. Il y a long-temps que je regarde vos Lettres au P. Parrenin, et ses réponses, comme des monuments bien précieux; mais n'allons pas plus loin, s'il vous plaît. J'aime passionnément Cicéron, parce qu'il doute; vos Lettres au P. Parrenin sont des doutes de Cicéron. Mais, quand M. de Guignes a voulu conjecturer après vous, il a révé très creux. J'ai été obligé, en

conscience,

de me moquer de lui, sans le nommer pourtant, dans la Préface de l'Histoire de Pierre ler. On imprimait cette histoire l'année passée, lorsqu'on m'envoya cette plaisanterie de M. de Guignes. Je Vous avoue que j'éclatai de rire en voyant que le roi Yu était précisément le roi d'Egypte Menès, comme Platon était, chez Scarron, l'anagramme de Chopine, en changeant seulement pla en cho, et ton en pine. J'étais émerveillé qu'on fût si doctement absurde dans notre siècle. Je pris donc la liberté de dire dans ma Préface: « Je sais que des philosophes d'un grand mérite ont cru voir a quelque conformité entre ces peuples; mais on a trop abusé de leurs doutes, etc.»

Or ces philosophes d'un grand mérite, c'est vous, monsieur ; et ceux qui abusent de vos doutes, ce sont les Guignes. Je lui en devais d'ailleurs à propos des Huns; car M. de Guignes se moque encore du monde avec son Histoire des Huns. J'ai vu des Huns, moi qui vous parle, j'ai eu chez moi des petits Huns, nés à trois cents licues à l'est de Tobolskoi, qui ressemblaient, comme deux gouttes d'eau, à des chiens de Boulogne, et qui avaient beaucoup d'esprit. Ils parlaient français comme s'ils étaient nés à Paris, et je me consolais de nous voir battus de tous côtés, en voyant que notre langue triomphait dans la Sibérie. Cela est, par parenthèse, bien remarquable; jamais nous n'avons écrit de si mauvais livres, et fait tant de sottises qu'aujourd'hui, et jamais notre langue n'a été si étendue dans le monde.

J'aurai l'honneur de vous soumettre incessamment le premier volume de l'Histoire de l'empire de Russie sous Pierre-le-Grand. Il commence par une description des provinces de la Russie, et l'on y verra des choses plus extraordinaires que les imaginations de M. de Guignes; mais ce n'est pas ma faule, je n'ai fait que dépouiller les archives de Pétersbourg et de Moscou, qu'on m'a envoyées. Je n'ai point voulu faire paraître ce volume, avant de l'exposer à la critique des savants d'Archangel et du Kamt chatka. Mon exemplaire a resté un an en Russie; on me le renvoie. On m'assure que je n'ai trompé personne en avançant que les Samoïèdes ont le mamelon d'un beau noir d'ébène, et qu'il y a encore des races d'hommes gris-pommelé fort jolis. Ceux qui aiment la variété seront fort aises de cette découverte; on aime à voir la nature s'élargir. Nous étions autrefois trop resserrés; les curieux ne seront pas fâchés de voir ce que c'est qu'un empire de deux mille lieues. Mais, on a beau faire, Ramponeau, les comédies du boulevart, et Jean-Jacques mangeant sa laitue à quatre pattes, l'emporteront toujours sur les recherches philosophiques.

Je ne peux finir cette lettre, monsieur, sans

|

vous dire un petit mot de vos Egyptiens. Je vous avoue que je crois les Indiens et les Chinois plus anciennement policés que les habitants de Mesraïm; ma raison est qu'un petit pays, très étroit, inondé tous les ans, a dû être babité bien plus tard que le sol des Indes et de la Chine, beaucoup plus favorable à la culture et à la construction des villes; et, comme les pêchers nous viennent de Perse, je crois qu'une certaine espèce d'hommes, à peu près semblable à la nôtre, pourrait bien nous venir d'Asie. Si Sésostris a fait quelques conquêtes, à la bonne heure; mais les Égyptiens n'ont pas été taillés pour être conquérants. C'est de tous les peuples de la terre, le plus mou, le plus lâche, le plus frivole, le plus sottement superstitieux. Quiconque s'est présenté pour lui donner les étrivières, l'a subjugué comme un troupeau de moutous. Cambyse, Alexandre, les successeurs d'Alexandre, César, Auguste, les califes, les Circassiens, les Turcs, n'ont eu qu'à se montrer en Égypte pour en être les maîtres. Apparemment que, du temps de Sésostris, ils étaient d'une autre pâte, ou que leurs voisins de Syrie et de Phénicie étaient encore plus méprisables qu'eux.

Pour moi, mousieur, je me suis voué aux Allobroges, et je m'en trouve bien; je jouis de la plus heureuse indépendance; je me moque quelquefois des Allobroges de Paris. Je vous aime, je vous estime, je vous révèrerai jusqu'à ce que mon corps soit rendu aux éléments dont il est tiré.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

10 août.

Je cherche ma dernière lettre à mon cher Palissot pour vous l'envoyer. Palissot est un brave homme; il imprime Français, aurais, ferais, par un a, et les encyclopédistes n'en ont pas tant fait. Ce drôle-là ne manque pas d'esprit, et a même quelque talent; mais c'est un calomniateur que mon cher Palissot, un misérable; et j'ai l'honneur de l'en avertir assez gaiement, autant que je peux m'eu souvenir. Ma dernière lettre à ce cher Palissot était toute chrétienne.

Je doute fort que M. de Malesherbes me rende d'importants services. Un folliculaire qui fait la feuille intitulée l'Avant-Coureur, nommé Jonval, demeurant quai de Conti, m'a mandé qu'on lui avait donné l'Oracle des nouveaux philosophes à annoncer. Vous savez ce que c'est que cet oracle; pour moi j'en ignore l'auteur. Mon divin ange, vous me feriez plaisir de me faire connaître ce bon homme; je lui dois, au moins, un remerciement. Ce Jonval l'annonçait donc, et en même temps le dénonçait aux honnêtes gens comme un plat libelle. Il prétend que son censeur, qu'il ne

nomme pas, lui a rayé son annonce, et lui a dit: cret de notre petite province de Gex, dont j'ai Si vous tombez sur V., on vous en saura gré; fait ma patrie; mais je ne le suis pas du service mais si vous voulez défendre V., on ne vous le que vous voulez bien me rendre ; j'en suis pénétré. permettra pas. Or, mon cher ange, vous saurez Je crains fort de ne pouvoir obtenir de messieurs que V. se moque de tout cela, qu'il rit tant qu'il du domaine ce que j'aurais pu avoir aisément d'un peut, et que, s'il digérait, il rirait bien davan-prince du sang, comme engagiste; mais j'ai toutage. O ange! V. baise le bout de vos ailes avec jours pensé qu'il faut tenter toute affaire dont le plus de dévotion que jamais.

A M. DUCLOS.

11 août.

Je sais depuis long-temps, monsieur, que vous avez autant de noblesse dans le cœur que de justesse dans l'esprit ; vous m'en donnez aujourd'hui de nouvelles preuves. Je ne doute pas que vous ne veniez à bout d'introduire M. Diderot dans l'académie française, si vous entreprenez cette affaire délicate; je vois que vous la croyez nécessaire aux lettres et à la philosophie dans les circonstances présentes. Pour peu que M. Diderot Vous seconde par quelques démarches sages et mesurées auprès de ceux qui pourraient lui puire, vous réussirez auprès des personnes qui peuvent le servir. Vous êtes à portée, je crois, d'en parler à madame de Pompadour; et, quand une fois elle aura fait agréer au roi l'admission de M. Diderot, j'ose croire que personne ne sera assez hardi pour s'y opposer. Nous ne sommes plus au temps des théatins évêques de Mirepoix ; il vous sera d'ailleurs aisé de voir sur combien de voix Vous pouvez compter à l'académie. Vous aurez l'honneur d'avoir fait cesser la persécution, d'avoir vengé la littérature, et d'avoir assuré le repos d'un des plus estimables hommes du monde, qui sans doute est votre ami. M. d'Alembert me paraît disposé à faire tout ce que vous jugerez à propos pour le succès de cette entreprise. Je prends la liberté de vous exhorter tous deux à vous aimer de tout votre cœur ; le temps est venu où tous les philosophes doivent être frères, sans quoi les fanatiques et les fripons les mangeront tous les uns après les autres.

succès peut faire beaucoup de plaisir, et dont le refus vous laisse dans l'état où vous êtes. J'aurai l'honneur de vous rendre compte de l'état des choses, dès que M. le comte de La Marche aura conclu avec sa majesté ; et je vous avoue que j'aimerais mieux vous avoir l'obligation du succès qu'à tout autre. Cependant l'affaire de Diderot me tient encore plus à cœur que le pays de Gex. J'aime fort ce petit coin du monde ; c'est, comme le paradis terrestre, un jardin entouré de montagnes; mais j'aime encore mieux l'honneur de la littéra ture. Je vous demande pardon de ne pas vous écrire de ma main; je suis un peu malingre.

Encore un mot, je vous prie, malgré mon peu de forces. Il me vient dans la tête que le travail de votre dictionnaire devient la raison la plus plausible et la plus forte pour recevoir M. Diderot. Ne pourriez-vous pas représenter ou faire représenter combien un tel homme vous devient nécessaire pour la perfection d'un ouvrage nécessaire? ne pourriez-vous pas, après avoir établi sourdement cette batterie, vous assembler sept ou huit élus, et faire une députation au roi pour lui demander M. Diderot comme le plus capable de concourir à votre entreprise? M. le duc de Nivernais ne vous seconderait-il pas dans ce projet ? ne pourrait-il pas même se charger de porter avec vous la parole? Les dévots diront que Diderot a fait un ouvrage de métaphysique qu'ils n'entendent point; il n'a qu'à répondre qu'il ne l'a pas fait, et qu'il est bon catholique. Il est si aisé d'être catholique!

Adieu, monsieur; comptez sur ma reconnaissance et mon attachement inviolable. Vous prendrez peut-être mes idées pour des rêves de malade; rectificz les, vous qui vous portez bien.

A MADAME D'ÉPINAI.

Il faut qu'il entre, mon adorable philosophe; qu'il entre, qu'il entre, vous dis-je; contrainsles d'entrer.

Je suis entièrement à vos ordres pour le Dictionnaire de l'Académie : je vous remercie de l'honneur que vous voulez bien me faire, j'en serai peut-être bien indigne, car je suis un pauvre grammairien; mais je ferai de mon mieux pour mettre quelques pierres à l'édifice. Votre plan me paraît aussi bon que je trouve l'ancien plan sur Notre cher Habacuc, du courage, je vous en lequel on a travaillé mauvais. On réduisait le dic-prie. La chose vous paraît impossible; je vous ai tionnaire aux termes de la conversation, et la déjà dit que c'est une raison pour l'entreprendre. plupart des arts étaient négligés. Il me semble Nous réussirons; croyez-moi, ce sera un beau aussi qu'on s'était fait une loi de ne point citer; triomphe. Mais que Diderot nous aide, et qu'il mais un dictionnaire sans citations est un squelette. n'aille pas s'amuser à griffonner du papier dans un temps où il doit agir. Il n'a qu'une chose à

Je suis un peu surpris de vous voir dans le sc

« PrethodnaNastavi »