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peuples de l'Orient, celles des Grecs, aes Erusques, des Romains, prirent naissance au sein des traditions religieuses. La poésie de tous les arts libéraux n'eut pas d'autre origine. Nous aussi, gens du Nord, nous n'avons reçu nos sciences que par l'intermédiaire de la religion.

« D'un autre côté, la nature même des choses confirme ce que l'histoire avance: car, qu'est-ce qui a élevé l'homme au-dessus de l'animal et l'a empêché, même dans son état le plus grossier, de tomber jusqu'au rang des brutes, si ce n'est une sorte d'instinct religieux qui, au milieu du chaos des êtres qui l'entouraient, a formé dans sa pensée la base des idées abstraites dont plus tard la raison et la parole ont développé la conception et favorisé la liaison? Quand l'homme vient à concevoir quelque chose d'invisible dans le visible, ou une force dans son action, il s'élève par cela même aux premiers degrés de la raison supérieure; cette raison s'est développée chez les peuples les plus avancés avec une extrême variété de signes. Il en est de même de la croyance à la survivance de l'âme; cet article de foi universelle distingue l'homme en mourant de la condition de l'animal. Abandonné à elle-même, l'intelligence n'aurait pu que difficilement atteindre à la notion d'immortalité.

Enfin ces lois et ces institutions humaines, dont la céleste puissance se développe même chez les nations les plus sauvages, est-ce la nature qui les a découvertes après un intervalle peut-être de mille ans, et d'incessantes abstractions? Je ne puis le penser, surtout quand je considère la marche de l'histoire. Si les hommes, dispersés sur la terre comme les animaux, avaient dû établir d'eux-mêmes, et sans secours, la forme intérieure de l'humanité, nous trouverions encore des nations sans langage, sans raison, sans religion, sans morale, car ce qu'a été l'homme, l'homme l'est encore; mais aucune histoire, aucune expérience, ne nous permet de croire que l'homme vive nulle part comme l'orang-outang. Comment les devoirs du mariage, de l'affection paternelle et filiale, de l'amour social et domestique, ont-ils été des liens pour l'homme, avant qu'il ait éprouvé les inconvénients ou les avantages qu'ils entraînent avec eux ? A-t-il passé, pour arriver à l'état d'homme, par mille formes incomplètes et mutilées ? Non, Dieu bienveillant, tu n'as pas abandonné la créature aux chances du hasard si funeste. A l'animal, tu as donné l'instinct qui le fait vivre, à la pensée de l'homme la religion et l'humanité, où ton image respire. »

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Bremer. — « La religion est la vertu à l'égard de l'invisible; la vertu est la religion à l'égard du visible. La vertu sans religion, combien rarement est-elle pure et constante dans les épreuves; la religion sans vertu, combien peu est-elle éloignée de l'hypocrisie et du fanatisme? »

M DE STAEL. — « La religion n'est rien

si elle n'est pas tout, si l'existence n'en est pas remplie, si l'on n'entretient pas sans cesse dans l'âme cette foi à l'invisible, ce dévouement, cette élévation de désir qui doivent triompher des penchants vulgaires auxquels notre nature nous expose. » (De l'Allemagne, par M DE STAEL, p. 549, chap. 1" de la quatrième partie.)

Benjamin CONSTANT.

Pendant son exil en Allemagne, sous le gouvernement impérial, Benjamin Constant s'occupa de son ouvrage sur la religion. Il rend compte à l'un de ses amis de son travail dans une lettre autographie dont voici un passage :

Hardenberg, ce 11 octobre 1811.

« J'ai continué à travailler du mieux que j'ai pu au milieu de tant d'idées tristes. Pour la première fois je verrai, j'espère, dans peu de jours, la totalité de mon Histoire du polythéisme rédigée. J'en ai refait tout le plan et plus des trois quarts des chapitres. Il l'a fallu, pour arriver à l'ordre que j'avais dans la tête et que j'avais atteint; il l'a fallu encore, parce que, comme vous le savez, je ne suis plus ce philosophe intrépide, sûr qu'il n'y a rien après le monde, et tellement content de ce monde, qu'il se réjouit qu'il n'y en ait pas d'autre. Mon Ouvrage est une singulière preuve de ce que dit Bacon, qu'un peu de science mène à l'athéisme, et plus de science à la religion. C'est positivement en approfondissant les faits et en les recueillant de toutes parts, et en me heurtant contre les difficultés sans nombre qu'ils opposent à l'incrédulité, que je me suis vu forcé de reculer dans les idées religieuses. Je l'ai fait certainement de bien bonne foi; car chaque pas rétrograde m'a coûté. Encore à présent toutes mes habitudes et tous mes souvenirs sont philosophiques, et je défends, poste après poste, tout ce que la religion conquiert sur moi. Il y a même un sacrifice d'amour-propre; car il est difficile, je le pense, de trouver une logique plus serrée que celle dont je m'étais servi pour attaquer toutes les opinions de ce genre. Mon livre n'avait absolument que le défaut d'aller dans le sens opposé à ce qui, à présent, me paraît vrai et bon, et j'aurais eu un succès de parti indubitable. J'aurais pu même avoir encore un autre succès; car avec de trèslégères inclinations, j'en aurais fait ce qu'on aimerait le mieux à présent, un système d'athéisme pour les gens comme il faut, un manifeste contre les prêtres, et le tout combiné avec l'aveu qu'il faut pour le peuple de certaines fables, aveu qui satisfait à la fois le pouvoir et la vanité. »

Nous avons entendu le philosophe, écoutons le publiciste traitant à la chambre, le 13 mai 1821, la question du Concordat avec une sagesse et une impartialité remarquables de la part d'un protestant.

« Autant que personne, je suis convaincu que la religion est une cause puissante, une source indispensable d'amélioration et

de bonheur pour l'espèce humaine... Tout ce qui est beau, tout ce qui est noble, tout ce qui est intime se rattache à elle... Tout ce qui contribue à la rendre plus puissante et plus sacrée obtiendrait mon approbation... La religion de l'Etat doit obtenir tous les avantages possibles, et nous devons prendre les moyens de rendre à ses ministres ioute la considération qui leur est due; nous devons faire pour elle tout ce que réclament son importance et sa dignité. »

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DESTUTT DE TRACY, le dernier partisan du voltairianisme. Le législateur doit d'abord appeler à son secours les idées religieuses qui saisissent les esprits dès le berceau et font naître des habitudes profondes et des opinions invétérées longtemps avant l'âge de la réflexion.

Toutefois, il doit commencer par s'assurer de la dépendance des prêtres qui les enseignent, sans quoi il aurait travaillé pour eux et non pas pour lui. Cette précaution prise, parmi les religions entre lesquelles il peut choisir, il doit donner la préférence à celle qui exige le plus la soumission des esprits, qui proscrit le plus tout examen, qui accorde le plus d'autorité à l'exemple, à la coutume, à, la tradition, aux décisions des supérieurs, qui recommande le plus la foi et la crédulité, et enseigne un plus grand nombre de dogmes et de mystères. Il doit, par tous les moyens, rendre cette religion exclusive et dominante autant qu'il le peut, sans révolter les préventions trop généralement répandues; et, s'il ne le peut pas, il faut que parmi les autres religions il donne, comme en Angleterre, la préférence absolue à celle qui ressemble le plus à celle-là.

« Toute religion consiste essentiellement dans les opinious purement spéculatives appelées dogmes; sous ce rapport, toutes, excepté la véritable, sont des systèmes philosophiques plus ou moins téméraires, plus ou moins contraires à la sage réserve de la saine logique. Tous joignent à ces dogmes quelques préceptes de conduite; si quelquesuns de ces préceptes sont contraires à la saine morale sociale (et cela arrive dans toutes), toujours, excepté la véritable, ces préceptes sont un mal. »

Lord BYRON.« M. V. Southey m'accuse d'attaquer la religion du pays, et lui, la soutient-il en écrivant ses Vies de Wesley? Un culte n'est détruit que par un autre. Jamais il n'y eut, et il n'y aura jamais un pays sans religion. On nous citera encore la France; mais ce ne furent que Paris et une faction frénétique qui maintinrent un moment le dogme absurde de la théophilanthropie. L'Eglise d'Angleterre, si elle est renversée, le sera par les sectaires et non par les sceptiques. Les peuples sont trop sages, trop instruits, trop certains de leur importance immense dans l'espace, pour se soumettre à l'impiété du doute. Il peut bien exister quelques spéculateurs sans foi, mais ils sont en petit nombre, et leurs opinions sans enthousiasme, sans appel aux passions, ne

sauraient gagner des prosélytes, à moins qu'ils ne soient persécutés; car voilà le moyen d'augmenter toutes les sectes >>

:

DUPIN, défenseur de Jésus-Christ contre le Juif Salvador, a dit depuis en pleine Académie française, qui a admis ses conclusions « Toute religion fabriquée par les hommes ne serait plus qu'une philosophie. L'autorité de Platon, même celle de Kant et d'Hegel, n'empêcheraient jamais les passions de violer ses préceptes. Ici, il ne s'agit point de dissidence sur telles ou telles formes de cultes, mais du fond et de l'essence générale de tous les cultes. Une religion sans mystères resterait au-dessous de l'esprit humain dont la nature, étant infinie, a ses diversités inexplicables, ses grandeurs que l'analyse n'atteint pas, et par conséquent ses mystères impénétrables. Toute religion qui paraîtra d'institution humaine n'aura qu'une valeur humaine et se placera audessous de la loi civile dont, en définitive, la puissance n'opère sur les masses que par la coërcition et la pénalité. »

SAINT-MARC GIRARDIN.« Vous parlez des religions qui sont faites de main d'homme! Mais où sont ces religions que l'homme a faites? Oui, on m'a conté qu'il y avait dans je ne sais quel faubourg de Paris des religions qui se faisaient de main d'homme. Mais où sont-elles ces religions? Que sont-elles devenues? Où ont-elles fixé leurs tentes vagabondes ? Et sans parler de ces démolitions de masures à peine élevées, où sont, Messieurs, ces innombrables hérésies religieuses qui germaient dans les décombres de l'empire romain? Elles étaient faites de main d'homme ! Où sont-elles? Et, au contraire, voyez les religions qui ont vécu, les religions qui ont résisté au cours des années. Voyez le catholicisme. Qu'estce donc qui l'a soutenu? Pourquoi a-t-il vécu ? Pourquoi? Parce qu'il a prétendu qu'il était de création non pas humaine, mais divine. C'est pour cela que pendant longtemps il a été l'appui du monde. Voyez le protestantisme, sur quelle base s'appuiet-il? Est-ce sur la main de l'homme, base fragile et périssable, base de chair, et qui peut se dessécher en un instant? Non, il s'appuie sur la révélation, sur la parole sainte. Là encore c'est quelque chose que l'homme n'a pas fait. Là encore il y a un appui. Prendrai-je le mahométisme? Mais le mahométisme, le croit - on fait de main d'homme? Ici, en Europe, oui! Aussi ne nous appuyons-nous pas sur le mahométisme. Mais, en Orient, Mahomet n'est-il qu'un homme? C'est un prophète inspire du commerce de Dieu, sa religion descend du ciel; le Koran est révélé. Si Mahomet avait dit: « Voici le Koran que j'ai fait et « que j'ai écrit, » le Koran n'aurait converti personne.

« Et remarquez-le bien : quand l'homme veut détruire une religion, quand le raisonnement veut saper un cuite, comment s'y prend-il? Quels reproches lui fait-il? C'est l'homme qui vous a fait, dit-il, vous êtes de

création humaine. Les philosophes du dernier siècle qu'ont-ils dit au christianisme? Vous êtes de création humaine. Ainsi, ce qu'on reproche à la religion dont on veut prouver la fausseté, c'est d'avoir été créée par l'homme; et aussitôt qu'il est prouvé, je me trompe, aussitôt qu'il est soupçonné que l'homme est pour quelque chose dans une religion, aussitôt que sa main s'y reconnaît et qu'on y voit l'écriture humaine, fot-ce une ligne, fût-ce un mot de cette écriture mortelle et périssable, c'en est fait de cette religion.

« Il faut le dire, il n'y a pas de religion durable qui soit créée de main d'homme. Les religions qui sont créées de main d'homme périssent du soir au matin, et les religions même qui ont longtemps vécu, il suffit d'un raisonnement qui dise: C'est l'homme qui a créé cela! pour que l'édifice s'ébranle tout entier. Ainsi donc, dans l'ordre religieux tout au moins, il est vrai de dire que l'homme ne s'appuie que sur ce qu'il n'a pas créé. » (Leçons de SAINT-MARC GIRARDIN à la Sorbonne, reproduites dans le Journal des Débats, du 26 février 1835.)

Le Constitutionnel, alors voltairien, imprimait des articles tels que celui-ci, qui nous semble trop concluant pour n'être pas cité tout entier :

«Bacon a dit : « Un peu de science nous « éloigne de la religion; beaucoup de science «y ramène.» Et, comme lui, la plupart des hommes qui ont agrandi la sphère de nos connaissances, ceux à qui le monde doit ses plus belles découvertes mathématiciens, physiciens, astronomes, qu'ils se nomment Descartes ou Newton, Pascal ou Malebranche, Leibnitz ou Euler, Colomb ou Copernic, tous, ou presque tous, ont eu la foi religieuse, ont accepté la croyance et pratiqué le rite, tous ont été théosophes. Au fond des pensées les plus grandes, arrivés à la dernière limite des solutions humaines, ils ont rencontré la Divinité, ce moteur invisible et présent sans lequel rien ne s'explique.

C'est Newton, le devin des lois géné rales de la nature, qui écrit : « Dieu régit tout; non pas comme l'âme du monde, << mais comme souverain absolu de ce qu existe. Et c'est à raison de cette puissance « sans bornes qu'il fut appelé le maître éter«nel, Pantocrator... Nous ne pouvons « avoir l'idée de la substance de Dieu, mais « nous connaissons ses propriétés et ses attributs, nous voyons ses créations si parfaites « et si sages. La puissance, la providence et « les causes finales, voilà en effet ce qui cons«titue la divinité; sans elles, il ne resterait plus que le destin ou la nature. »

«Plus tard encore, il expliquait, dans ses lettres à Bentley, comment il voulait que l'on interprétât son système de l'attraction et de la gravitation des corps. « On ne peut comprendre, disait-il, que la matière brute « animée puisse, sans la médiation de quel que autre chose qui ne soit point matière, agir sur une autre matière, et affecter

« celle-ci sans un mutuel contact, ce qui « pourrait avoir lieu si la gravitation était, « comme Epicure le prétend, essentielle et << inhérente à la matière. Voilà pourquoi je « vous ai prié de ne pas m'attribuer cetie « opinion, que la gravitation est innée. « Admettre qu'elle soit innée, inhérente et « essentielle à la matière, de sorte qu'un « corps puisse agir sur un autre corps à tra« vers le vide et la distance qui les séparent, << sans le concours d'un agent par qui l'ac<«<tion et la force de ces corps soient trans<< mises de l'un à l'autre, est à mes yeux la « plus grande absurdité que l'on puisse cona cevoir, et aucun homme, je pense, ne peut « y tomber pour peu qu'il soit capable de raisonnements en matières philosophi«ques... Maintenant je voudrais ajouter « que l'hypothèse de la matière fortuitement « répandue dans l'espace est, à mon avis, in« conciliable avec l'hypothèse de la gravita«<tion innée. Il faudrait un pouvoir surnatuarel pour mettre d'accord les deux hypothè«ses, c'est-à-dire qu'il faudrait reconnaîte << avant tout l'existence d'une divinité, car s'il y a en effet une puissance de gravitation « innée, il est impossible maintenant que la « matière dont se composent la terre, les « planètes et les étoiles, s'en échappent de « manière à se trouver répandues fortuite<< ment à travers les cieux, à moins qu'un « pouvoir surnaturel n'intervienne. Or, co « qui n'est possible à présent qu'à un pouvoir « surnaturel était évidemment impossible << autrefois sans le concours du même pou« voir. »

« Voilà Newton articulant des réserves expresses pour qu'on n'arguât point de son système contre les croyances religieuses. Le grand homme fit plus encore. Dans ses heures de loisir, quand, fatigué de calculs mathématiques, il reposait sa tête sur des études plus consolantes et moins arides, il commenta les Ecritures et chercha à établir la vérité de leur chronologie par des preuves astronomiques. Ce fut l'un des derniers ouvrages de Newton, le moins connu de tous, et fort curieux à connaître. Il l'intitula: Observations sur les prophéties de l'Ecriture sainte, particulièrement sur les prophéties de Daniel et sur l'Apocalypse de saint Jean.

« Après Newton, il faut citer Leibnitz, son rival, son contemporain, comme si un seul génie de cette trempe n'eût pas suffi à ce siècle, Leibnitz, qui trouvait le même jour, presque à la même heure que Newton, les éléments de calcul différentiel et infinitésimal, et qui a été ensuite obligé de se défendre contre une accusation de plagiat. Leibnitz alla plus loin comme écrivain religieux, il fit sa Théodicée (Justice de Dieu), pour réfuter. Bayle; il répondit au socinien Wissowatzi, qui avait attaqué la croyance trinitaire; il entretint une longue correspondance avec Bossuet, pour ramener à une communion unique les catholiques et les protestants. Nulles démonstrations n'ont été plus détaillées, plus méthodiques que les siennes. A propos de l'accord de la foi et de

la raison, il écrivait « La théologie et la philosophie, ou la foi et la raison, ne sau«raient se contredire, car l'objet de la foi est « la vérité, que Dieu a révélée d'une manière «<extraordinaire, et la raison est le rapport ou << l'enchaînement de toutes les vérités, mais particulièrement des vérités où l'esprit hu« main peut atteindre naturellement sans être aidé avec la foi. La foi est pour la raison ce << qu'est l'expérience même, car la raison, << consistant dans l'enchainement des vérités, a se sert de celles que l'expériuce lui a four<<nies, pour combiner avec celles qu'elle dé<<couvre par ses propres lumières, et en tire « des conclusions. »

« Euler, disciple de Leibnitz, ressuscita la forme syllogistique que Newton avait détournée, et l'appliqua à la discussion religieuse, avec une grande puissance de démonstration. Dans son rôle double de mathématicien et de philosophe chrétien, Euler remplit sa carrière avec la Théorie des nombres et la Défense de la révélation contre les esprits forts.

« Au nombre des hommes célèbres que le scepticisme conduisit à la croyance, il serait injuste d'omettre Descartes, dont le point de départ, en tout, fut l'incrédulité; qui, doutant d'abord de lui-même, de son existence, de sa forme, ne fut conduit à s'admettre et à se reconnaître pour quelque chose qu'à l'aide de sa fameuse formule:

Je pense, donc je suis.» Sa méthode pour s'assurer de l'existence de Dieu n'est ni moins subtile, ni moins singulière. « Par « exemple, dit-il, je voyais bien que supposant << un triangle, il fallait que ses trois angles « fussent égaux à deux droits, mais je ne « voyais rien pour cela, qui m'assurât qu'il << y eût au monde aucun triangle, au lieu que, « revenant à examiner l'idée que j'avais d'un « être parfait, je trouvais que l'existence y « était comprise en même façon qu'elle est « comprise en celle d'un triangle, que ces « trois angles sont égaux à deux droits, ou en « celle d'une sphère, que toutes ses parties << sont également distantes de son centre, ou « même encore plus évidemment, et que par « conséquent il est pour le moins aussi cer«tain que Dieu, être si parfait, est ou existe, << qu'aucune démonstration de géométrie ne << saurait être. » Et plus loin dans ce même morceau de la Méthode: « Enfin, s'il y a << encore des hommes, qui ne soient pas << assez persuadés de l'existence de Dieu et de «<leur âme, par les raisons que j'ai apportées, « je veux bien qu'ils sachent que toutes les « autres choses dout ils se croient peut-être « plus assurés, comme d'avoir un corps, et << qu'il y a des astres, et une terre, et choses << semblables, sont moins certaines. »

« C'est une chose digne pourtant de quelque méditation, que cet accord des esprits voués aux sciences positives, dans Teurs appréciations religieuses. Faut-il en conclure, comnie Bacon, que l'étude les conduisait de plus en plus à la découverte de l'impuissance humaine, et qu'alors épuisés, confus, devenus faibles comme les

autres, ils trouvaient et glorifiaient une intelligence surnaturelle et souveraine? Faut-il aussi croire que, pour ces hommes au cœur vaste comme leurs pensées, la religion était une poésie qui les aidait à dégager, du milieu de tant de problèmes stériles, une inconnue profitable au savoir humain? A ces pèlerins poursuivant dans leurs déserts la trace d'un fait, la démonstration d'un phénomène, il fallait quelques oasis, avec leurs fruits mûrs' et leurs fontaines d'eau jaillissante. Là ils ne marchaient plus, ils se reposaient.

« Nous avons vu Newton, Bacon, Leibnitz, Euler, Descartes, mettre l'autorité de leur parole et de leur foi au service des vérités religieuses. Bien d'autres savants ont fait comme eux. Nous avons cité Malebranche, Pascal, Copernic et Colomb; il faudrait remplir toutes ces colonnes de noms, pour donner la liste de tous, Tycho-Brahé, Kepler, Galilée, Stal, Cavendish, Linnée, Réaumur, Spallanzani, Jussieu, Sydenham, Boerhaave, Haller, Hoffman, Grotius, L'Hopital, Puffendorf, Domat, Montesquieu, notabilités scientifiques dont il serait impie de suspecter la conscience et de nier le talent.

« Démontrer la vérité de la religion par le mérite des hommes qui y ont cru, qui l'ont plaidée et pratiquée, telle est la véritable théologie de notre époque. L'ouvrage i qui nous occupe, la Raison du Christianisme, publié sous la direction de M. de Genoude, est la première chaire qu'on élève à cette théologie, chaire imposante et grave, devant laquelle doivent s'amortir les passions ou les préventions du jour. Ce livre, nous en avons donné le sens et la pensée; comme notre article qui le reflète, il procède par des citations, et démontre par la puissance des noms propres. On ne peut pas dire que ce soit une réhabilitation; ce sont plutôt des archives; c'est un appel au passé, pour défendre et organiser le présent. Nous souhaitons à cette œuvre utile des chances heureuses. Au nom de la religion, les siecles précédents avaient tellement outragé la liberté humaine, que la philosophie a da s'armer contre ses exigences. La réaction a été cruelle, les représailles ont été dures. Tout cela est fini, ou à peu près. Maintenant sera-t-il facile de faire comprendre que l'abus seul était mauvais, et que l'usage offre des consolations ineffables? Sera-t-il facile de rendre la foi à qui l'a perdue, cette foi, ce don du ciel, que l'habitude et l'imi tation peuvent quelquefois suppléer? Quelles voies sont les meilleures pour cette mission d'union et d'oubli? Qui aura la force et le courage de la réaliser? On peut désirer que ce soit le livre de M. de Genoude. A l'appui de son entrepise, il a raison d'invoquer l'homme que les prêtres du dernier siècle ont le plus outrageusement persécuté, et le livre qu'ils ont voué au bûcher: JeanJacques Rousseau et l'Emile.

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« Je vous avoue, dit Jean-Jacques, que majesté de l'Ecriture m'étonne, la simplicité de l'Evangile parle à mon cœur. Voyez les

livres des philosophes avec leur pompe, qu'ils sont petits auprès de celui-là ! Se peut-il qu'un livre à la fois si simple et si sublime soit sorti de la main des hommes ? Du sein du plus furieux fanatisme, la plus haute sagesse se fit entendre. Les faits de Socrate, dont personne ne doute, sont moins attestés que ceux de Jésus-Christ. Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d'un sage, la vie et la mort de Jésus sont d'un Dieu. Ce n'est pas ainsi qu'on invente, et l'Evangile a des caractères de vérité si grands, si frappants, si parfaitement inimitables, que l'inventeur en serait plus étonnant que le héros. » De si belles paroles ne sauraient être trop souvent redites. Jamais on ne prêchera la thèse de la révélation avec plus d'onction de style, plus de noblesse et de grandeur d'idées. » (J. C. T, n. du 14 septembre 1834.)

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Le Droit (journal). « L'école des encyclopédistes n'est pas en faveur aujourd'hui le dédain pour ce qu'on veut bien appeler la philosophie de Voltaire est une espèce de mode.

La réaction vers les idées religieuses est incontestable; elle a même toutes nos sympathies. C'est une révolution heureuse à laquelle nous applaudissons, et qui d'ailleurs, en tant que fait, a sa place marquée dans les colonnes d'un journal consacré à l'étude du droit, comme nous l'entendons. On dit souvent que la loi française est athée; c'est là une de ces maximes prétentieuses dont l'absurdité même fait la fortune et qu'il est inutile de réfuter; il serait tout au plus possible d'y découvrir une sorte de vérité relative en détournant les mots de leur acception naturelle. Mais sitôt qu'on veut explorer théoriquement la constitution civile et politique des nations, on ne peut se dispenser de faire la part des idées religieuses, soit dans leur essence, soit dans leurs formules. Les besoins moraux de l'humanité ont leur place en ce monde; on ne les méconnaît point impunément; l'influence des institutions religieuses est telle d'ailleurs, que, abstraction faite de la divinité du droit, il n'est pas permis de les mettre en oubli. C'est là une des sciences les plus élevées qui puissent attirer les méditations du philosophe, de l'historien, du publiciste, et surtout du jurisconsulte, à qui la science de chacun d'eux doit être également familière. »

Jean REYNAUD. « Les religions n'ont pas seulement pour but de prescrire aux homines la manière dont ils doivent agir les uns à l'égard des autres et de leur en seigner en général l'esprit de charité et de piété; elles se proposent aussi bien de faire savoir aux hommes et ce qu'est Dieu, et ce qu'est l'univers, et ce qu'ils sont eux-mêmes, d'autant mieux que les hommes ne peuvent concevoir clairement la piété, et par conséquent être sincèrement fidèles, s'ils ne connaissent autant que possible ce qu'est Dieu; de même qu'ils ne peuvent non plus avoir une idée précise et impérieuse de leurs

convenances mutuelles dans la vie, c'est-àdire ce qu'est l'homme, ce qu'est l'univers, et quel est le rapport de ces deux termes. Les religions se composent donc de deux parties, toutes deux essentielles et nécessaires; le dogme, qui n'est que le reflet jeté sur la terre par cette lumière supérieure, et qui montre aux hommes le chemin qu'ils doivent y suivre. La morale n'est souveraine que dans les cœurs que le dogme illumine, et jamais les religions n'ont prétendu traiter les hommes comme des esclaves à qui l'on commande une obéissance fatale.....

«En un mot, nulle doctrine, à moins de faire injure à la bonté infinie du Créateur, ne peut nier que la pratique de la morale ne soit un des principes essentiels du perfectionnement du genre humain. Mais ce n'est point à dire que la morale soit tout dans la religion et que tout ce qui dans leur ensemble ne s'y rapporte pas directement soit hors d'œuvre. » (Encyclopédie nouvelle, t VIII, p. 253, article Spinoza, par J. Reynaud.)

« La religion donne à l'autorité tout ce que la philosophie lui donne et plus encore, et des priviléges d'une autre nature. Elle en tire aussi des biens très-précieux, tout à fait inconnus des purs philosophes. Un des grands objets de toute religion est, en effet, la communion des cœurs. Là donc où une religion trouve son autorité dans l'accord d'un grand nombre d'hommes ou de quelques âmes d'élite à comprendre, à sentir de la même manière en Dieu, et ses lois et notre destinée, là aussi elle offre à ses fidèles des moyens nouveaux ou plus vastes de déployer leur amour et leur foi: à quelques-uns d'entre eux, dont la constance est éprouvée, dont l'intelligence, dont la charité surtout dépasse celle des autres, elle commet la direction de tous; et de l'assemblée de plusieurs hommes unis devant Dieu dans les mêmes croyances, elle fait naître le culte qui est la manifestation de la foi par la prière et par les chants, enfin par les cérémonies destinées à l'expression symbolique ou figurative du dogme.....

« Les vérités que la philosophie peut atteindre ne suffisent pas aux religions. Il faut que celles-ci présentent sur les êtres supérieurs, sur Dieu et ses volontés, sur la vie future et l'origine du péché, des connaissances plus précises, plus achevées. Il faut que les voies de la Providence et ses moyens d'action pour le salut des hommes y soient enseignés avec autorité. De là les systèmes historiques fondés sur des révélations, les révélations établies par des faits surnaturels, les faits surnaturels prouvés par le témoignage, et le témoignage perpétué par la tradition. Ainsi donc une vue spéciale sur l'histoire de l'humanité, un ensemble de faits humains et divins tout ensemble, et une Eglise permanente dont l'enseignement fait foi, s'ajoutent dans les religions à tous les autres objets que la philosophie partage avec elles.» (Encyclopédie nouvelle, 1. VII, p. 560, art. Philosophie, par J. Reynaud.)

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