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qu'il n'en falloit pour faire bien des prosélytes. Pleine de ce zèle qu'on a toujours pour ses opinions, quand on les croit nouvelles ou à soi, elle alla les répandre dans le pays de Gex, dans le Dauphiné et le Piémont; mais elle fut priée de sortir de tous les endroits où l'on s'aperçut qu'elle dogmatisoit. Pendant le cours de ses voyages, elle composa un livre intitulé Moyen court et facile de faire oraison; un autre, qui avoit pour titre les Torrens; une Interprétation mystique du Cantique de Salomon. Ces ouvrages sont curieux par un galimatias singulier. Elle eut beaucoup de disciples sa doctrine flattoit l'orgueil et soulageoit la paresse. On alloit à la plus sublime perfection par un chemin semé de fleurs. Le simple acte de la vue de Dieu en soi-même suffisoit. Les ecclésiastiques se croyoient dispensés du bréviaire, les fidèles d'une vie active; les vieux pécheurs entroient de plein vol dans la chambre de l'Epoux : il ne falloit qu'aimer. Madame Guyon étant à Grenoble l'an 1683, le jour de la Purification elle eut un songe merveilleux, où elle vit la persécution que l'enfer susciteroit contre la nouvelle spiritualité qu'elle prêchoit, et la victoire signalée que remporteroit l'esprit d'oraison. Le 28 fés vrier, elle écrivit à ce sujet une grande lettre à son directeur, dans laquelle elle lui faisoit le récit de ce songe. C'est ainsi qu'elle s'exprime dans un endroit de cette lettre : « La femme sera enceinte, c'est-à-dire pleine de l'esprit intérieur, et le dragon se tiendra » debout devant elle, sans pourtant lui nuire, parce » qu'elle est environnée du soleil de justice; qu'elle a la lune sous ses pieds, qui est la malice et l'incons»tance, et que les vertus de Dieu lui serviront de » couronne. Mais il ne laissera pas de se tenir toujours » debout devant elle, et de la persécuter de cette ma»nière. Mais, quoiqu'elle souffre long-temps de ter»ribles douleurs de l'enfantement spirituel, Dieu

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>> protégera son fruit; et, lorsqu'il sera véritablement » produit et non connu, il sera caché en Dieu jusqu'au jour de la manifestation, jusqu'à ce que la » paix soit sur la terre. La femme sera dans le désert, » sans soutien humain, cachée et inconnue on vo>> mira contre elle les fleuves de la calomnie et de la >> persécution; mais elle sera aidée des ailes de la » colombe, et, ne touchant pas à la terre, le fleuve » sera englouti, durant qu'elle demeurera intérieu>>rement libre, qu'elle volera comme la colombe, » et qu'elle se reposera véritablement sans crainte, >> sans soins et sans soucis. Il est dit qu'elle y sera >> nourrie, et non qu'elle s'y nourrira; sa perte ne lui » permettant pas de faire réflexion sur ce qu'elle de» viendra, et de penser, pour peu que ce soit, à elle, » Dieu en aura soin. Je prie Dieu, si c'est sa gloire, de » vous donner l'intelligence de tout ceci. »>

Il est vrai qu'il étoit besoin d'une lumière plus que naturelle, pour comprendre un pareil galimatias. Au reste, on sera moins surpris que madame Guyon ait fait un songe si extraordinaire, lorsque l'on saura qu'elle avoit eu pendant vingt-deux jours une fièvre continue; mais ce qui doit étonner, c'est que ses partisans, sur la foi d'un tel songe, aient pu se persuader qu'elle étoit une véritable prophétesse.

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Madame Guyon et Lacombe résolurent de venir à Paris, persuadés que dans cette grande ville ils pourroient dogmatiser plus aisément, et seroient moins éclairés ils se trompoient. A peine arrivée à Paris, madame Guyon fut enfermée dans le couvent des filles de la Visitation de la rue S. Antoine, par un ordre du Roi, que l'archevêque de Paris avoit obtenu. Lacombe, son directeur, fut mis à la bastille on l'accusa d'avoir séduit sa pénitente, et d'avoir profité de ses momens de folie pour attenter à sa vertu. Madame Guyon fut examinée par Chéron, official de l'arche

vèque. Elle édifia les religieuses, en attira quelquesunes à son parti, et les attendrit toutes. Dans le monde elle avoit des partisans, à la Cour des protecteurs; cependant madame de la Maison-Fort, sa cousine, fut la seule qui osa parler pour elle. La MaisonFort étoit d'une ancienne famille de Berri: dès l'âge de douze ans, elle fut reçue parmi les chanoinesses de Poussay, abbaye ouverte à la seule noblesse. Bien faite, aimable, pleine d'imagination et de candeur, persécutée par une injuste marâtre, elle fut présentée à madame de Maintenon par l'abbé Gobelin, et admise à Saint-Cyr, pour en perfectionner l'éducation. Elle fit éclater dans cette maison un zèle ardent, qui lui mérita la confiance de l'institutrice. Trop dissipée pour songer à faire des vœux, trop orgueilleuse pour obéir à une femme, elle goûtoit madame Guyon, et ne pouvoit se résoudre à suivre ses conseils et à renoncer au monde; aussi madame Guyon lui disoitelle « Pour vous gouverner, ma cousine, il faut un » bonnet carré. »

Madame de la Maison-Fort, à la prière de M. de Lassau, prêtre de la Mission, dit à madame de Maintenon que madame Guyon n'étoit coupable que d'un excès d'amour pour Dieu; que toutes les calomnies débitées contre elle étoient inventées par des parens avides de son bien. Madame de Maintenon en parla au Roi, qu'elle trouva fort prévenu par le P. de la Chaise. Madame de Maintenon fut prévenue ellemême contre sa protégée par le P. de la Mothe, Barnabite, beau-frère de madame Guyon. Madame de Miramion voulut voir par ses yeux si madame Guyon étoit aussi coupable ou aussi folle qu'on le disoit : elle alla au couvent, interrogea la supérieure, entendit l'éloge de la prisonnière, fit un rapport favorable à madame de Maintenon, qui, ravie de s'être trompée, et fâchée de l'avoir été, promit de parler encore au

Roi. Madame de la Maison-Fort fit agir les duchesses de Charost, de Chevreuse, de Beauvilliers, de Mortemar, dont la piété n'étoit pas suspecte. Madame Guyon eut à la Cour un parti dont elle ne se doutoit pas dans sa retraite. Pressé par madame de Maintenon, à demi-instruit par les murmures des courtisans, le Roi dit qu'on présentât un placet. Sur l'exposé, il ordonna qu'on relâchât la prisonnière. Avant d'élargir madame Guyon, l'archevêque de Paris voulut lui faire passer un acte qui prouvoit qu'elle avoit débité une doctrine répréhensible: elle refusa de le signer, soutenant qu'il n'y avoit point d'hérésies dans ses livres; mais madame de Maintenon lui fit dire de signer elle obéit à sa protectrice, et fut élargie. Les duchesses de Chevreuse et de Beauvilliers, la princesse d'Harcourt, la marquise de Mont-Chevreuil, madame de Miramion, témoignèrent à madame Guyon la joie qu'elles avoient de son élargissement, et l'invitèrent d'aller à Versailles. M. de Charost lui prêta son appartement: le duc de Béthune, son père, enveloppé dans la disgrâce de Fouquet, dont il avoit épousé la sœur, exilé à Montargis, avoit logé chez le père de madame Guyon, et transmis à ses enfans la reconnoissance qu'il devoit à la famille qui l'avoit secouru dans l'adversité. La doctrine de madame Guyon fut goûtée à la Cour. Madame de Maintenon fut curieuse d'entretenir une personne si extraordinaire : les duchesses s'empressèrent d'accompagner madame Guyon à cette visite. Ses charmes, son esprit, ses malheurs, je ne sais quoi qui persuade; sa douceur, sa patience, tout se réunit pour convaincre madame de Maintenon qu'elle n'avoit jamais mieux employé son crédit; elle lui donna des marques d'estime, et sa confiance crût de jour en jour. Les visites de la nouvelle sainte furent: fréquentes: ce n'étoient plus des heures rapides, c'étoient des jours entiers passés avec elle; et plus on la

voyoit, plus on en étoit charmé. Etoit-on accablé de chagrin et de fatigue, madame Guyon étoit appelée, et sa conversation étoit également propre à délasser et à consoler. Madame de Miramion la reçut dans sa communauté. Madame Guyon en sortoit quelquefois pour aller voir madame de Charost à Benne, d'où elle passoit à Saint-Cyr. Elle y séjournoit quelques jours ; elle y distribuoit ses livres; les dames de S. Louis se passionnoient pour elle par imitation et par goût, et, tandis que madame de Maintenon bénissoit le ciel du succès de ses soins, l'erreur s'y glissoit sous le masque de la piété.

Chaque jour voyoit grossir le nombre des disciples de la visionnaire: bientôt elle en eut un qui en valoit des milliers; ce fut l'abbé de Fénélon. « Un jour elle >> l'ouït nommer. Elle en fut toute occupée avec une >> extrême force et douceur; il lui sembla que l'Amour » (c'est ainsi que madame Guyon appeloit Jésus» Christ) le lui unissoit intimement, et qu'il se faisoit » de lui à elle comme une filiation spirituelle. J'eus oc» casion, dit-elle (1), de le voir le lendemain. Je sentois » intérieurement qu'il ne me goûtoit point, et j'éprou » vai pourtant un je ne sais quoi, qui me faisoit ten»dre de verser mon cœur dans le sien. Mais je ne trou>> vai pas que son cœur m'entendit, et Dieu sait ce que » je souffris la nuit! Le jour je le revis; nous restâmes

quelque temps en silence, et le nuage s'éclaircit un » peu; mais qu'il étoit encore loin de ce que je le » souhaitois! Je souffris buit jours entiers, et je me » trouvai unie à lui sans obstacle; et depuis, notre » union augmente sans cesse, toujours plus pure, tou» jours plus vive, toujours ineffable; il me semble que » mon ame a un rapport entier avec la sienne. O mon >> fils! mon cœur est collé au cœur de Jonathas. Je » mourrois, s'il y avoit le moindre entre-deux entre (1) Vie de madame Guyon, troisième Partie, page 102..

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