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» toi et moi, entre nous et Dieu. O mon fils! » De pareils sentimens étoient bien capables de faire impression sur le cœur tendre et affectueux de l'auteur du Télémaque.

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L'abbé de Fénélon, né dans le Périgord, de parens nobles, élevé par l'évêque de Sarlat, son oncle, dirigé au séminaire de S. Sulpice par l'abbé Tronson, plus appliqué dès sa jeunesse à l'étude de l'Ecriture sainte qu'à celle des Pères, employé avec succès à la conversion des Protestans, supérieur des Nouvelles Catholiques, exclu jusqu'alors des dignités ecclésiastiques, parce qu'il étoit soupçonné de jansénisme; Fénélon venoit enfin de dissiper tous les soupçons formés contre lui, et de recueillir le fruit de ses études et de sa patience. Ses sermons avoient commencé sa réputation; la mort chrétienne du vieux duc de Mortemar, qu'il avoit préparé à ce terrible passage, l'avoit achevée.

Le Roi avoit nommé le duc de Beauvilliers gouverneur de M. le duc de Bourgogne. Le préceptorat étoit fort brigué; le choix en fut abandonné au gouverneur. Beauvilliers jeta les yeux sur l'abbé de Fénélon, qu'il connoissoit depuis long-temps. Il falloit écarter les soupçons de jansénisme. Il recourut à madame de Maintenon, et lui fit le portrait le plus avantageux et le plus naturel de l'abbé. Madame de Maintenon consulta séparément l'abbé Tronson, supérieur de Saint-Sulpice; l'abbé Hébert, curé de Versailles; le père Valois, Jésuite; Bossuet, évêque de Meaux : tous se réunirent à parler en faveur de Fénélon. Elle dit au Roi que le duc de Bourgogne ne pouvoit être mieux instruit que par un homme qui avoit su se concilier les suffrages de gens d'un caractère si opposé. Fénélon fut nommé précepteur, et le choix fut si applaudi, que l'académie d'Angers le proposa pour sujet du prix qu'elle distribue toutes les années.

Tout à la fois l'homme à la mode et le saint de la Cour, il étoit souhaité partout, et ne se montroit qu'à quelques amis utiles et choisis. Il réunissoit tout l'enjouement, toute la complaisance que demande le commerce des femmes, avec toute la modestie qu'exigeoit son état. Simple avec le duc de Bourgogne, sublime avec Bossuet, brillant avec les courtisans, il avoit des manières pleines de grâces, une imagination vive, une éloquence touchante, un style plein de vérité et de goût, une théologie affectueuse, un visage doux, un air riant. Le feu de ses yeux annonçoit les plus impérieuses passions, et sa conduite la plus étonnante victoire. Voilà le prosélyte que madame Guyon met à la tête du quiétisme. Jamais hérésie ne s'étoit insinuée plus agréablement.

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L'abbé de Fénélon n'adopta pas tout d'un coup le systême de madame Guyon. Il fit ses objections; elle y répondit. << Mon fils, lui disoit-elle, êtes-vous satis» fait? La doctrine de l'oraison entre-t-elle dans >> votre tête? Oui, madame, repartoit l'abbé, et » même par la porte cochère. » Fénélon se livra tout entier à l'étude des livres mystiques. Son imagination s'enflamma. Il ne vit en madame Guyon qu'une ame brûlante de l'amour divin, ame simple et sans fard, dont les erreurs mêmes étoient respectables, puisqu'elles tiroient leur origine des principes les plus sublimes et les plus saints. D'ailleurs elle étoit persécutée; et Fénélon avoit ce penchant, cette sensibilité pour les malheureux, vertu si inutile dans le monde, et si funeste à la Cour.

Le quiétisme, soutenu par un homme d'un si grand mérite et si bien à la Cour, fit à Paris des progrès rapides. Dans cette grande ville, on ne parloit plus que le jargon des mystiques, si commode pour les esprits qui n'ont nulle précision dans les idées. Quelques dames de Saint-Cyr témoignèrent à madame de Main

tenon qu'elles trouvoient dans les entretiens de madame Guyon quelque chose qui les portoit à Dieu. Sans trop approfondir ce que c'étoit, peut-être même trompée par sa piété, madame de Maintenon ́ leur permit de prendre confiance en elle. Toutes les fois que madame Guyon alloit à Saint-Cyr, elle étoit écoutée comme un oracle, et reconduite comme une sainte. Les dames qui n'avoient pas de dévotion en acquirent; celles qui en avoient en eurent davantage. Il n'est pas étonnant qu'elle trouvât des disciples parmi tant d'esprits tendres et accessibles à tous les sentimens de la piété. Pendant quatre années madame de Maintenon combla de bontés madame Guyon; elle l'avoit souvent à sa table, et s'en servoit pour inspirer le goût de la piété à quelques jeunes dames; dont l'exemple pouvoit influer sur le reste de la Cour. On tenoit trois fois la semaine des assemblées aux hôtels de Chevreuse et de Beauvilliers, où l'on avoit pratiqué de petits appartemens. Là, après un repas frugal, où nul domestique n'étoit admis, on faisoit des conférences sur des matières spirituelles, on agitoit plusieurs affaires qui tendoient à l'avancement du règne de Dieu. L'abbé de Fénélon présidoit à ces mystères. Les courtisans murmuroient de ces assemblées, dont ils ne pénétroient pas le secret. Madame Guyon prêchoit quelquefois dans ces assemblées : elle exigeoit de ses auditeurs qu'ils lui rendissent compte de leurs plus secrètes pensées. Madame la duchesse de Guiche ayant éclaté de rire à l'endroit le plus pathétique, madame Guyon exigea qu'elle prononçât tout haut le sujet de sa distraction. Après s'être un peu défendue: « Eh bien! dit la duchesse, je pen» sois que vous étiez folle, et que nous ne l'étions » guère moins. » Cependant plusieurs ecclésiastiques prirent ombrage de ces conférences, où ils n'étoient point admis. L'archevêque de Paris, qui vouloit per

dre Fénelon, fit proposer à la Sorbonne un cas de conscience. On demandoit si un prince pouvoit souffrir auprès de ses enfans un précepteur soupçonné de quiétisme. M. Bossuet empêcha la solution du problême : Fénélon étoit son ami. On représenta à madame de Maintenon que madame Guyon troubloit l'ordre de Saint-Cyr; qu'elle y introduisoit une méthode particulière, et que ses élèves avoient plus de déférence pour les décisions d'une femme, que pour les ordres d'un évêque. Ces plaintes étoient vraies en partie. Les écrits de madame Guyon étoient lus avec avidité à Saint-Cyr; et madame Du Péron, alors maîtresse des novices, étoit prèsque la seule qui ne donnât point dans la nouvelle spiritualité. Ses novices n'obéissoient plus: on avoit des extases; le goût pour l'oraison devenoit si vif, si incommode, que les devoirs les plus essentiels étoient négligés. L'une, au lieu de balayer, restoit nonchalamment appuyée sur son balai; l'autre, au lieu de vaquer à l'instruction des demoiselles, entroit en inspiration, et s'abandonnoit à l'esprit. La sous-maîtresse menoit furtivement les illuminées dans quelque réduit secret, où l'on se nourrissoit de la doctrine de madame Guyon. Sous prétexte de tendre à la perfection, on négligeoit la règle commune qui y conduit. L'évêque de Chartres accourut à la vue du danger: il parla en particulier à toutes les dames, et les persuada toutes; mais la Maison-Fort se souleva contre lui, critiqua quelques nouveaux réglemens, et se moqua des confesseurs. Monsieur de Chartres exigea qu'on lui remît tous les livres de madame Guyon, imprimés ou manuscrits. Madame de Maintenon tira de sa poche, sans hésiter, le Moyen court, et toutes les dames l'imitèrent, quoiqu'à regret. Fénélon engagea la Maison-Fort à se soumettre à son évêque, et la détermina à faire des vœux solennels, pour lesquels elle avoit témoigné

beaucoup d'aversion. Madame Guyon fut priée de ne plus aller à Saint-Cyr; mais on toléra un commerce de lettres entr'elle et les dames de Saint-Cyr. Elle leur en écrivoit de très-édifiantes, qui passoient toutes par les mains de madame de Maintenon, dont la vigilance ne dédaignoit pas les détails les moins importans. Une copie échappée aux recherches de l'évêque de Chartres, multiplia les exemplaires du Moyen court et des Torrens. La nuit on lisoit ces livres, le jour on les mettoit en pratique; et madame Guyon, quoique absente, régnoit à Saint-Cyr, comme si elle eût été la supérieure.

Cependant il se formoit contre elle un terrible orage. M. l'évêque de Châlons, MM. Tiberge et Brisacier, M. Jolly, le P. Bourdaloue, M. Tronson, se réunirent tous à désapprouver par écrit le Moyen court de madame Guyon. Madame de Maintenon, docile à la voix des pasteurs, incertaine des suites qu'auroient les accusations intentées contre madame Guyon, lui persuada de conjurer l'orage par la retraite. Madame Guyon quitta le monde, et se réfugia dans la solitude. Ce fut en vain: on l'accusa de répandre de loin le poison du quiétisme. Les confesseurs ne parloient que de crimes qu'on s'accusoit d'avoir commis d'après ses principes. On disoit ouvertement qu'elle perdoit tout le monde, et qu'il falloit l'enfermer. Madame de Maintenon ne l'abandonna point encore; mais elle lui défendit absolument tout commerce avec Saint-Cyr, et pria l'évêque supérieur de cette maison d'y supprimer tous les écrits de cette dame. Cette conduite n'empêcha pas qu'elle ne se joignît aux Beauvilliers, aux Colberts et aux Chevreuses, pour défendre madame Guyon. Elle promit d'appuyer un mémoire apologétique qu'on avoit fait en sa faveur; mais madame Guyon dédaigna d'être justifiée, remercia ses protecteurs, les pria de retirer

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