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charge, lui dit-il, votre conscience de tous les mal» heurs que je prévois. Dieu m'est témoin que le >> moindre soupçon auroit fermé pour jamais à Féné»lon l'entrée aux dignités ecclésiastiques. » Ce prince fut indigné que l'hérésie eût osé se glisser dans sa Cour et s'approcher de son trône. Il haïssoit tous les sectaires; il avoit détruit les Huguenots; il poursuivoit les Jansenistes, et il apprenoit que la foi de sa famille et de ses héritiers étoit en péril. Il fit des reproches amers à madame de Maintenon, sur ce qu'elle lui avoit caché l'amitié déjà si ancienne de M. de Cambrai pour madame Guyon, sur ses importunités pour le faire archevêque, et sur les conférences secrètes qu'elle avoit eues avec lui.

Les Jésuites furent partagés au sujet du livre de M. de Fénélon: plusieurs, à la tête desquels étoit le P. de La Chaise, l'approuvèrent comme très-édifiant; les autres, parmi lesquels on distinguoit les PP. de la Rue et Bourdaloue, le rejetèrent comme fort dangereux. Fénélon s'étant rendu à Paris, vivement alarmé des bruits désavantageux qui se répandoient sur sa personne et sur son livre, proposa des moyens d'arrêter le scandale, offrit de retoucher son ouvrage, d'expliquer ce qui étoit obscur, et de supprimer ce qui étoit dangereux. Il alla chez madame de Maintenon, qu'il trouva occupée à lire son livre. « Voilà, lui » dit-elle, un chapitre que j'ai lu neuf fois, que » je ne comprends pas encore. (C'étoit le chapitre » sur le mariage de l'ame.) — Madame, lui répondit l'archevêque, vous le liriez cent fois, et vous ne le » comprendriez pas davantage : tous les livres mys>>tiques sont obscurs, et ce n'est point à la Cour » qu'on apprend à les entendre. C'est sans doute » de là, lui dit madame de Maintenon, que viennent » tant de bruits effrayans contre votre livre. Quand »je pense que c'est vous qui l'avez fait, je me rassure

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>> contre cet éclat. » L'amitié que cette dame avoit pour l'archevêque, la porta à chercher quelques voies d'accommodement: elle proposa des conférences; l'archevêque de Paris témoigna les désirer extrêmement. Fénélon y consentit, mais à condition que M. de Meaux en seroit exclu. Cette condition fut cause que les conférences n'eurent point lieu. L'archevêque de Cambrai proposa de plus amples explications de son livre; mais Bossuet soutint que des explications n'étoient que des faux-fuyans, et qu'il falloit une rétractation formelle. Les deux prélats écrivirent, l'un pour défendre son livre, l'autre pour l'attaquer. Enfin M. de Cambrai résolut de prendre le Pape pour juge, se flattant de trouver une puissante protection à Rome, où ses adversaires n'avoient aucun crédit. Le P. de La Chaise écrivit, comme de la part du Roi, au cardinal de Janson, pour le prier de protéger le livre des Maximes des Saints. Le cardi nal répondit au Roi qu'il obéiroit. A la lecture de cette dépêche, le Roi, également surpris et indigné, manda le P. de La Chaise, lui reprocha vivement d'abuser de son nom, et donna ordre à Torcy de désavouer promptement le Jésuite.

Cependant on procédoit à Rome à l'examen du livre de Fénélon. La congrégation du Saint-Office nomma pour examinateurs sept religieux. Le cardinal de Bouillon, qui fut envoyé dans le même temps à Rome en qualité d'ambassadeur de France, soutint les intérêts de M. de Cambrai avec une chaleur et un emportement qui furent plus nuisibles qu'utiles à Fénélon sa hauteur, son arrogance, ses manières brusques et violentes à l'égard des autres cardinaux, aigrirent et aliénèrent leurs esprits. Dans presque toutes les congrégations qui se tinrent, au sujet de cette affaire, l'impétueux Bouillon donna quelques scènes scandaleuses, qui décréditoient la cause qu'il défen

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doit. Dans les dernières séances, voyant que son protégé alloit être condamné, il s'avisa de menacer les cardinaux. « Qui pensez-vous condamner, dit-il au »sacré collége? un théologien couvert de la pous»sière de l'Ecole? un particulier sans aveu, sans ap» pui? Détrompez-vous; c'est un archevêque, le plus >> bel esprit du royaume, un homme saint dans ses » mœurs, sage dans le gouvernement de son diocèse; » un homme qui vous fait l'honneur de vous porter » son affaire en première instance, qui a recours à >> l'autorité du saint Siége, méprisée et affoiblie par » ses ennemis; un théologien dont la doctrine est » approuvée par toutes les ames pieuses. Réfléchissez >> sur les suites de votre condamnation: mille livres >> imprimés contrediront votre jugement: vous ne » pouvez pas plus empêcher d'enseigner l'amour pur, » que de le ressentir. Condamnez M. de Cambrai; il » a des ressources dans son génie et dans ses amis. >> Vous l'opprimerez, il ne s'abandonnera pas lui>> même; vous l'abattrez, ses amis le releveront. » Ces menaces déplurent aux cardinaux. Un d'eux lui répondit: « Seigneur cardinal, nous sommes juges, et » non pas des écoliers. » Le Pape, outré des hauteurs de Bouillon, qui lui baisoit les pieds en le menaçant, disoit quelquefois : « Cet homme ne me vient voir que » pour me quereller; il a toujours l'air d'un sanglier » blessé. » Ce Pape étoit Innocent II, homme pieux et droit, mais foible. Il dit, pendant le cours des procédures : «< Fénélon pèche par excès d'amour divin, >et Bossuet par défaut d'amour pour le prochain. Entendant un jour les cardinaux s'échauffer sur ce que Fénélon détruisoit l'espérance, et Bossuet la charité. « C'est la foi qui se perd, leur dit-il, et nul de » vous n'y pense. »>

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Enfin, après des discussions, le cardinal Cazanata dressa, le 13 mars 1699, un bref qui condamnoit la

doctrine contenue dans le livre des Maximes des Saints. Fénélon n'eut point pour ce bref l'indifférence qu'on l'avoit accusé de prêcher contre le salut il avoit supporté avec une fermeté stoïque sa disgrâce à la Cour, son exil dans son archevêché, et la perte de sa place de précepteur des princes; mais la condamnation de son livre le remplit de la plus vive douleur, comme il l'avoue lui-même dans la lettre qu'il écrivit au Pape à ce sujet. Cependant l'humilité, ou, si l'on veut, un amour-propre généreux et éclairé fit taire les conseils spécieux de l'orgueil : il avoit promis de se soumettre, et il se soumit. Il se soumit sans restriction, sans réserve; il fit un mandement contre son livre, et annonça lui-même en chaire sa propre condamnation. Le lecteur verra peut-être avec plaisir ce monument de la soumission d'un illustre prélat; c'est pourquoi nous allons rapporter ici ce mandement de l'archevêque de Cambrai.

« FRANÇOIS, par la miséricorde de Dieu et la grâce » du saint Siége apostolique, archevêque duc de Cam» brai, prince du saint Empire, comte de Cambrésis, etc. au clergé séculier et régulier de notre dio» cèse, salut et bénédiction en N.-S.

» Nous nous devons à vous sans réserve, mes très>> chers Frères, puisque nous ne sommes plus à nous, >> mais au troupeau qui nous est confié: Nos autem » servos vestros per Jesum. C'est dans cet esprit que » nous nous sentons obligés de vous ouvrir ici notre » cœur, et de continuer à vous faire part de ce qui >> nous touche sur le livre intitulé Explication des » Maximes des Saints.

>> Enfin N.S. P. le Pape a condamné ce livre, avec » les vingt-trois propositions qui en ont été extraites, » par un bref daté du 12 mars, qui est maintenant » répandu partout, et que vous avez déjà vu. Nous » adhérons à ce bref, M. T.-C. F. tant pour le texte

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» du livre, que pour les vingt- trois propositions, » simplement, absolument et sans ombre de restric» tion. Ainsi, nous condamnons, tant le livre que les >> vingt-trois propositions, précisément dans la même » forme et avec les mêmes qualifications, simplement, » absolument et sans aucune restriction. De plus, » nous défendons, sous la même peine, aux fidèles de » ce diocèse, de lire et de garder ce livre.

» Nous nous consolerons, M. T.-C. F., de ce qui » nous humilie, pourvu que le ministère de la parole, » que nous avons reçu du Seigneur pour votre sancti»fication, n'en soit pas affoibli, et que, nonobstant » l'humiliation du- pasteur, le troupeau croisse en » grâces devant Dieu.

» C'est donc de tout notre cœur que nous vous ex» hortons à une soumission sincère et à une docilité » sans réserve, de peur qu'on n'altère insensiblement >> la simplicité de l'obéissance au saint Siége, dont » nous voulons, moyennant la grâce de Dieu, vous » donner l'exemple jusqu'au dernier soupir de notre » vie.

» A Dieu ne plaise qu'il soit jamais parlé de nous, » si ce n'est pour se souvenir qu'un pasteur a cru » devoir être plus docile que la dernière brebis du » troupeau, et qu'il n'a mis aucune borne à sa sou>> mission.

» Je souhaite, M. T.-C. F., que la grâce de N.-S. » J.-C. l'amour de Dieu et la communication du Saint>> Esprit demeurent avec vous tous. Donné à Cam» brai, le 9 avril 1699. »

Fénélon ne crut pas sa faute assez réparée par ce mandement, il fit faire, pour l'exposition du saint sacrement, un soleil dont un des anges qui en étoient les supports fouloit aux pieds divers livres hérétiques, sur un desquels étoit le titre du sien. Un triomphe complet sur ses ennemis n'eût pas acquis tant de

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