LES PRINCIPES DE LA PHILOSOPHIE. SECONDE PARTIE. DES PRINCIPES DES CHOSES MATÉRIELLES. I. Quelles rai Bien que nous soyons suffisamment persuadés sons nous font qu'il y a des corps qui sont véritablement dans le savoir certai- monde, néanmoins, comme nous en avons douté nement qu'il y a des corps. ci-devant, et que nous avons mis cela au nombre des jugements que nous avons faits dès le commen cement de notre vie, il est besoin que nous recherchions ici des raisons qui nous en fassent avoir une science certaine. Premièrement, nous expérimentons en nous-mêmes que tout ce que nous sentons vient de quelque autre chose que de notre pensée; car il n'est pas en notre pouvoir de faire que nous ayons un sentiment plutôt qu'un autre, mais cela dépend entièrement de cette chose, selon qu'elle touche nos sens. Il est vrai que nous pourrions nous enquérir si Dieu, ou quelque autre que lui, ne seroit point cette chose: mais, à cause que nous sentons, ou plutôt que nos sens nous excitent souvent à apercevoir clairement et distinctement une matière étendue en longueur, largeur et profondeur dont les parties ont des figures et des mouvements divers, d'où procèdent les sentiments que nous avons des couleurs, des odeurs, de la douleur, etc., si Dieu présentoit à notre âme immédiatement par lui-même l'idée de cette matière étendue, ou seulement s'il permettoit qu'elle fût causée en nous par quelque chose qui n'eût point d'extension, de figure, ni de mouvement, nous ne pourrions trouver aucune raison qui nous empêchât de croire qu'il prend plaisir à nous tromper; car nous concevons cette matière comme une chose différente de Dieu et de notre pensée, et il nous semble que l'idée que nous en avons se forme en nous à l'occasion des corps de dehors, auxquels elle est entièrement semblable. Or, puisque Dieu ne nous trompe point, parceque cela répugne à sa nature, comme il a été déjà remarqué, nous devons conclure qu'il y a une certaine substance étendue en longueur, largeur et profondeur, qui 2. Comment nous savons aussi que notre âme est jointe à un corps. existe à présent dans le monde, avec toutes les propriétés que nous connoissons manifestement lui appartenir. Et cette substance étendue est ce qu'on nomme proprement le corps, ou la substance des choses matérielles. Nous devons conclure aussi qu'un certain corps est plus étroitement uni à notre âme que tous les autres qui sont au monde, parceque nous apercevons clairement la douleur et plusieurs autres que sentiments nous arrivent sans que nous les ayons prévus, et que notre âme, par une connoissance qui lui est naturelle, juge que ces sentiments ne procèdent point d'elle seule, en tant qu'elle est une chose qui pense, mais en tant qu'elle est unie à une chose étendue qui se meut par la disposition de ses organes, qu'on nomme proprement le corps d'un homme. Mais ce n'est pas ici l'endroit où je prétends traiter particulièrement de ces choses. Il suffira que nous remarquions seulement que tout ce que nous apercevons par l'entremise de nos la nature des sens se rapporte à l'étroite union qu'a l'âme avec corps, et que nous connoissons ordinairement par leur moyen ce en quoi les corps de dehors les ou nuisi- nous peuvent profiter ou nuire, mais non pas quelle est leur nature, si ce n'est peut-être rarement et par hasard. Car, après cette réflexion, nous quitterons sans peine tous les préjugés qui ne sont fondés que sur nos sens, et ne nous ser 3. Que nos sens ne nous en seignent pas choses, mais seulement ce en quoi elles nous sont uti bles. le virons que de notre entendement pour en examiner la nature, parceque c'est en lui seul que les premières notions ou idées, qui sont comme les { semences des vérités que nous sommes capables de connoître, se trouvent naturellement. 4. En ce faisant, nous saurons que la nature de la Que ce n'est matière ou du corps pris en général ne consiste pas la pesanteur, ni la dureté, ni la cou constitue la nature du corps, mais point en ce qu'il est une chose dure, ou pesante, leur, etc., qui 5. Que cette vé et cependant nous connoissons clairement et distinctement qu'il a tout ce qui le fait corps, pourvu qu'il ait de l'extension en longueur, largeur et profondeur; d'où il suit aussi que pour être il n'a besoin d'elles en aucune façon, et que sa nature consiste en cela seul qu'il est une substance qui a de l'extension. Pour rendre cette vérité entièrement évidente, rité est obs- il ne reste ici que deux difficultés à éclaircir. La les opinions première consiste en ce que quelques uns, voyant curcie par dont on est touchant la raréfaction et préoccupé proche de nous des corps qui sont quelquefois plus et quelquefois moins raréfiés, se sont imale vide. giné qu'un même corps a plus d'extension lorsqu'il est raréfié que lorsqu'il est condensé; il y en a même qui ont subtilisé jusques à vouloir distinguer la substance d'un corps d'avec sa propre grandeur, et la grandeur même d'avec son extension. L'autre n'est fondée que sur une façon de penser qui est en usage, à savoir qu'on n'entend pas qu'il y ait un corps où l'on dit qu'il n'y a qu'une étendue en longueur, largeur et profondeur, mais seulement un espace, et encore un espace vide, qu'on se persuade aisément n'être rien. 6. Pour ce qui est de la raréfaction et de la condenfait la raréfac-sation, quiconque voudra examiner ses pensées, et Comment se tion. ne rien admettre sur ce sujet que ce dont il aura une idée claire et distincte, ne croira pas qu'elles se fassent autrement que par un changement de fi |