Slike stranica
PDF
ePub

fort mal payée, de se dispenser du mariage en nourrissant un enfant ou un vieillard; et quand bien même cette dépense n'aurait pas excédé leurs moyens, il était facile de prévoir qu'on trouverait bien vite un prétexte pour leur couper les vivres en refusant le certificat de civisme et le paiement de leur pension, ou bien pour les détenir comme suspects et les contraindre ainsi au mariage. En réalité, les prêtres infirmes ou âgés étaient seuls libres de faire cette option.

Fouché terrorisa aussi le département de l'Allier, mais celui de la Nièvre fut le centre de ses opérations. Il avait été précédé dans l'Allier par un agent nommé Diannyère, parti le 18 mai avec le titre et les appointements (360 livres par mois) d'observateur, et des pouvoirs étendus dans les départements de la Nièvre, de la Creuse et de l'Allier. Ses lettres contiennent des renseignements précieux sur la situation. religieuse de ces deux derniers départements.

Le 5 juin, il envoie au ministre de l'intérieur un rapport détaillé sur le département de l'Allier. Le peuple y est ignorant; «< comme l'ignorance est la base des religions, il est religieux ». Aucun ecclésiastique ne s'est marié ; le peuple est très hostile au mariage des prêtres.

« Dans les districts de Donjon et de Moulins, ils ont presque tous. prêté serment, tandis que, dans ceux de Gannat, de Cusset, de Montluçon de Cérilly, les prêtres sermentés ont été peu nombreux. Les curés sermentés lisent et prêchent les lois nouvelles... je ne les crois pas assez éclairés pour être républicains; mais je les crois intéressés, mais je crois qu'ils commencent à comprendre que la conservation de leur traitement dépendra des services qu'ils rendent ou rendront à la révolution. Citoyen ministre, d'après ce que je vous ai dit, vous voyez qu'ils ne sont pas à négliger. Ce qui se passe actuellement dans le district de Montmaraut vient encore à l'appui de mon opinion. Les curés de ce district, un seul excepté, ont prêté serment, et, cependant, le peuple y est tellement fanatisé, tellement opposé à la révolution que, s'il avait un chef, il se révolterait contre les lois nouvelles; voilà ce que m'ont assuré et l'évêque, et le président du département de l'Allier, et plusieurs autres personnes également dignes de ma confiance. Cinq curés ont été arrêtés sans trouble, il est vrai, mais les colons n'en sont pas moins endoctrinés par d'autres prêtres aussi perfides..... »

Il accuse ensuite ces constitutionnels d'avoir prêté ser

ment avec l'autorisation de l'archevêque de Bourges, afin de tromper les autorités. Les républicains faisaient circuler partout des contes de ce genre, afin d'exciter la tourbe des clubistes contre les constitutionnels qui voulaient conserver un reste de catholicisme.

Le 7 juin, il écrit de Moulins que des curés ne publient pas le mandement de l'évêque constitutionnel, et sont, par conséquent, suspects:

«... les processions de la fête nommée Fête-Dieu ont été brillantes, même à Moulins; aussi le conseil du département a-t-il montré une assez grande philosophie, en arrêtant qu'il n'y assisterait pas en corps, et une condescendance raisonnable, en accordant des canons et de la poudre. »

Le 9, il envoie un autre rapport sur la situation religieuse. Cette fois il parle du «< catholicisme papiste » :

« Les mécontents qui sont restés étaient, pour la plupart, religieux avant la révolution; et ils le sont, par conséquent, encore. Ceux qui ne l'étaient pas le sont devenus. Tous ont fait corps avec les prêtres non assermentés; tous allaient à leur messe tant que les chanoines, moines et autres prêtres auxquels on ne demandait pas le serment ont pu la dire, et actuellement aucun d'eux n'y va. On assure que, à dix heures du matin, ils se prosternent tous du côté de Rome, et s'unissent d'intention avec le pape qui dit la messe exprés pour eux. » (Archives, AF, II, 128.)

Tous les mécontents qui appartenaient à l'état militaire ont émigré. Depuis le 10 août, les prêtres sont tous ou déportés ou reclus. La loi qui oblige les parents d'émigrés à habiter les districts a débarrassé les campagnes de partisans décidés de la religion, qui ne cessaient de stimuler le zèle des curés. Cependant, il redoute les conséquences de leur réunion dans les petits chefs-lieux de district. Les autorités de Moulins, qui ont une force armée à leur disposition, devraient mieux surveiller et moins arrêter. « Ces arrestations mal motivées, dans un département où chaque individu est connu de presque tous les autres individus, nuisent à ceux qui les ordonnent. » Il se plaint aussi de l'insalubrité de la prison et déclare que « de bons républicains ne doivent jamais outrager l'humanité » .

Parmi les religieuses, les unes sont retirées chez leurs parents, les autres vivent deux ou trois ensemble et con

tinuent autant que possible la vie de couvent. Les religieuses hospitalières sont encore à l'hôpital.

Le 20 juin, il annonce qu'il a convoqué l'avant-veille les six sections de Moulins et leur a demandé d'indiquer chacune leurs suspects:

<< Deux ont déclaré qu'il n'y en avait point à Moulins, et que les personnes détenues l'étaient injustement; deux ont déclaré qu'elles ne connaissaient point dans leur enceinte aucune personne suspecte, les deux autres ont dénoncé plusieurs individus, et mardi la municipalité a décerné des mandats d'arrêt contre trente et une personnes; toutes sont mécontentes de nos révolutions; toutes ont des amis ou des parents parmi les émigrés, mais peu sont dangereuses; ce sont, pour la plupart, des êtres nuls, des êtres sans moyens physiques, intellectuels ou pécuniaires; enfin une d'elles est absente depuis près d'un an. »

Les autorités ont montré peu de zèle, les suspects récemment arrêtés ont été conduits dans une prison salubre :

« Il serait à souhaiter que les personnes suspectes qui ont été arrêtées auparavant, et'qui sont dans une prison étroite et malsaine, y fussent aussi. »

Il avoue encore que certaines arrestations sont le résultat de vengeances particulières, et que plusieurs municipalités prévariquent dans la recherche des suspects. Le 4 juillet, il envoie un rapport sur les religieuses de l'hôtel-Dieu. Elles sont au nombre de vingt-trois, assez âgées pour la plupart. Cinq sont infirmes, six au-dessus de soixante ans, cinq audessus de cinquante, et plusieurs autres approchent de cet âge. Elles ont quatre converses, dont deux infirmes, et plusieurs aides étrangères à l'ordre. Quatre d'entre elles appartenaient à des couvents supprimés; elles paient pension. Elles sont catholiques papistes, car elles ne vont plus à la messe depuis qu'il n'est plus possible d'entendre celle des réfractaires, mais elles ne font pas de propagande parmi les malades. « L'aumônier, leur curé, leur évêque, personnages très difficiles en fait de religion, ne se plaignent pas d'elles. » Elles ont avancé à l'hospice une somme de 25,000 livres sur leurs dots depuis la révolution. Dyannyère ne le dit pas expressément, mais il est à croire que l'existence de cette dette a beaucoup contribué à les faire maintenir dans l'hôpital. Il faut, du reste, rendre justice à cet agent: on ne

trouve dans son rapport aucun trait de cette hostilité brutale et grossière contre les religieuses, qui était alors à la mode chez les révolutionnaires.

Le 11 août, il rend compte de la fête civique qui vient d'être célébrée en l'honneur de la constitution. A son grand étonnement, les autorités ont mêlé aux démonstrations politiques des cérémonies religieuses; mais il n'a pas cru devoir s'y opposer:

«... l'évêque constitutionnel a dit la messe; on a proclamé l'acte constitutionnel; le maire de Moulins a prononcé un discours patriotique; on a chanté un Te Deum, on a chanté des couplets patriotiques, on a brûlé de vieux parchemins, de vieux papiers. Personne ou du moins presque personne n'a réclamé contre la messe et le Te Deum, n'a pensé, ou du moins n'a dit hautement qu'ils étaient anticonstitutionnels; ainsi vous voyez que les vrais principes de la liberté n'ont pas encore fait de grands progrès dans la ville de Moulins, que l'instruction la plus commune manque aux habitants. Enfin Moulins, ayant à peu près quinze mille âmes, a, par conséquent, trois mille hommes en état de porter les armes dans une fête; et, cependant, il n'y en avait pas mille; il n'y avait pas cinq cents spectateurs en comptant les hommes et les enfants, et, cependant, la ville de Moulins a accepté la constitution à l'unanimité. » (Archives nationales, FA, 551.)

Ainsi, de l'aveu même de ce commissaire, cette fête civique était célébrée sans le moindre entrain, et les autorités de Moulins, en y mêlant des cérémonies religieuses, qui allaient être proscrites jusqu'en 1802, avaient prouvé qu'elles ne désiraient aucunement l'abolition du culte.

Le 27, Fouché vint terroriser Moulins. Il visita la société populaire et déblatéra contre la faiblesse de ceux qui laissaient subsister des signes de superstition, contre l'égoïsme des riches, des propriétaires, des fermiers. Il déclara que son fameux arrêté sur le mariage obligatoire des prêtres serait appliqué dans l'Allier, et ordonna la destruction des signes religieux. Il prescrivit, en outre, aux boulangers de ne faire qu'une seule qualité de pain, à trois sous la livre. Il organisa un comité de surveillance de quinze membres, à 3 livres par jour, et une armée révolutionnaire aux dépens des riches. Dyannyère, dans un rapport du 2 octobre, rend compte de la visite de Fouché, et fait part au ministre de ses craintes sur les résultats de la persécution du clergé,

qui excite le plus vif mécontentement chez les paysans. Dans le département de la Corrèze, le 19 septembre, la guillotine fonctionna pour la première fois. Le tribunal criminel,jugeant révolutionnairement, se rendit à Uzerche pour faire tomber la tête d'un pauvre ouvrier de soixante-cinq ans, Pierre Besse, dit Picharou (1). Les classes inférieures souffraient horriblement de la misère, et ce brave homme avait commis le crime abominable de dire que les temps étaient bien durs. Il fut condamné en application de la loi du 4 décembre 1792, comme ayant prêché le rétablissement de la royauté, et on fit tomber sa tête pour apprendre aux classes inférieures qu'elles devaient souffrir en silence. Le 27, deux prêtres, Pierre Labrac, curé de Champagnac, et Gabriel Bouin, curé de Saint-Palais, dans le Lot, furent exécutés à Tulle en vertu de la loi du 18 mars.

IV

Les catholiques de la Franche-Comté subissaient une horrible persécution. En mai 1793, l'invalide Vuillemin fut exécuté à Pontarlier. Son arrestation remontait au 29 novembre 1792. Afin de se confesser, il avait passé la frontière de Suisse; au moment où il la repassait, il fut arrêté avec trois jeunes gens imberbes qui avaient précédemment émigré et qui, fatigués de la vie qu'ils menaient à l'étranger, avaient tenté de rentrer secrètement en France. Il fut accusé d'avoir facilité leur retour. On trouva dans son portefeuille des copies de lettres qu'il avait écrites à son beau-frère pour le dissuader de suivre les offices du curé constitutionnel, et lui prouver que les catholiques, en ne les suivant pas, usaient tout simplement de la liberté de conscience. On trouva aussi sur lui des lettres de prêtres déportés, et d'un émigré qui s'exprimait avec beaucoup d'animosité sur le compte de la révolution. Il déclara, ce qui était évident, ne point connaître ces jeunes gens, et leur avoir seulement in

(1) Scènes de la révolution dans le bas Limousin, par le comte de Seilhac; il faut lire, p. 526, le récit du procès et du supplice de ce malheureux.

« PrethodnaNastavi »