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autres morceaux qu'il serait trop long d'analyser; un Essai sur l'Oraison funèbre, remarquable par une excellente littérature, mais qui ne rendra pas la vie à un genre faux et décrédité par l'ennui; plusieurs discours prononcés à l'Académie, et brillans, comme tout ce qu'a fait l'auteur, d'images et d'effets de style; deux notices intéressantes sur Fénélon et sur Pascal, et un fragment sur le sage Symmaque, et l'emporté saint Ambroise. Nous nous bornerons à offrir quelques réflexions sur le discours de réception de M. Villemain à l'Académie française, et sur un Essai historique sur Milton, inséré, à titre de notice, dans la Biographie universelle.

Ce n'est pas toujours une tâche facile que de composer un discours de réception à l'Académie française. Il est d'usage de faire l'apologie de l'aca iémicien dont on occupe le fauteuil, et ce devoir est souvent délicat et pénible. Souvent un ennemi prend la place de son ennemi, comme il est arrivé à M. de Châteaubriand; quelquefois un prêtre succède à un philosophe. Dans de telles circonstances, l'éloge est difficile, et le blâme inconvenant. On sait que M. de Châteaubriand préféra l'inconvenance, et qu'un autre académicien embrassa la difficulté pour la vaincre. Il y avait presqu'un courage égal dans les deux partis.

Ces obstacles ne se sont point présentés à M. Villemain. Il succédait à M. de Fontanes, son protecteur et son maître, et il n'avait pas besoin pour écrire d'un autre guide que son cœur. Ce n'est pas qu'il n'y eût dans la vie de M. de Fontanes quelques époques sur lesquelles il était à propos de glisser légèrement. M. Villemain a eu quelquefois le tort de s'appesantir sur ce qui voulait n'être qu'effleuré. On peut lui reprocher également de ne pas savoir toujours choisir ses éloges. Jeté dans les révolutions, qu'il détesta sans les combattre ; accueilli par un despote auquel son éloquence ne manqua dans aucune des circonstances qui ont précédé sa chute; rapide

déserteur de l'idole quand elle eut perdu son culte, et soutien de la monarchie lorsqu'elle était devenue triomphante, M. de Fontanes pouvait être dépeint comme un homme à la fois bon et faible, se laissant entraîner sans résistance, et n'ayant d'autres torts que ceux d'un caractère trop facile. Pourquoi M. Villemain a-t-il plus d'une fois vanté le courage et la fermeté de son héros? Qui prouve trop ne prouve rien. Je ne pousse pas le rigorisme jusqu'à lui demander la vérité tout entière, je connais trop les droits de la reconnaissance; mais une contrevérité trop évidente, si elle n'est une insigne flatterie, n'est qu'une satire déguisée.

M. Villemain ne traite pas si bien Milton que M. de Fontanes. Sans doute il y a quelque distinction à établir entre ces deux hommes: Milton eut du génie, et M. de Fontanes n'eut que du talent. Milton eut le tort de faire l'apologie de la mort de Charles Ier, et M. de Fontanes n'a fait que l'apologie de la guerre d'Espagne et de la guerre de Russie. Mais enfin, si l'un fut secrétaire de Cromwell, l'autre fut l'orateur favori de Bonaparte. Il est vrai que la restauration ne les traita pas également : Milton fut plongé dans un cachot, et M. de Fontanes garda ses dignités et ses traitemens; Milton mourut obscur, et personne n'aurait osé faire son éloge; M. de Fontanes est mort illustre, et l'Académie française a entendu son panégyrique. Cette diversité dans leur destinée s'explique par un seul mot Milton avait le malheur d'être inflexible dans ses opinions, et M. de Fontanes savait tourner à propos; Milton ne chercha point à justifier ce qu'il n'estimait pas criminel, et M. de Fontanes a trouvé l'art de faire dire, dans les biographies, que sa situation sous Bonaparte avait été celle d'une disgrâce perpétuelle. On ne l'avait chargé d'honneurs et de dignités que pour l'avilir!

Toute la partie littéraire de l'Essai sur Milton est d'un haut intérêt et d'une justesse remarquable. On doit même avouer

que, sous le rapport politique, M. Villemain le maltraite moins que M. Michaud dans la préface de la traduction de Delille. Il paraîtra singulier, dans la postérité, que cette traduction soit précédée d'une diatribe contre l'auteur même dont elle a copié le génie. Une pareille faute n'est pas de celles que M. Villemain eût commises, s'il eût écrit cette préface. Son Essai sur Milton la remplacerait avec avantage; et en attendant, il est un des ornemens de la Biographie universelle.

LÉON THIESsé.

LE THEATRE DES GRECS, par le P. BRUMOY. Seconde édition complete, revue, corrigée, et augmentée de la traduction d'un choix de fragmens des Poëtes grecs, tragiques et comiques; par M. RAOUL-ROCHETTE, membre de l'Institut de France (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres) (1).

CINQUIÈME ET DERNIER ARTICLE.

(Voyez ci-dessus, pag. 89-108.)

Avant l'époque où Corneille parut, nos poëtes dramatiques, à peine dignes de ce nom, n'observaient aucune règle; on se moquait même des règles, lorsque, par hasard, quelqu'un s'avisait de les rappeler (2). L'abbé d'Aubignac a rendu son nom assez ridicule par une mauvaise tragédie de Zénobie, et en

(1) Paris, 1821-1823. 16 vol. in-8°; prix 6 fr. 5o c. le vol. Mad. ve Cussac, rue Montmartre, no 3o. (V. Rev. Enc., 1re série, t. xv, p. 165; t. xx1, p. 77-102, 326-344, 569-584, et ci-dessus, p. 89-108.)

(2) Un sieur Durval, auteur des Travaux d'Ulysse, d'Agarite et de Panthée, dans la préface de son Agarite (imprimée en 1636, l'année même du Cid), « se réjouit aux dépens de ces pauvres règles

core plus par des critiques malveillantes et injurieuses dirigées contre Corneille; mais enfin, on ne peut nier qu'il n'eût étudié l'art dramatique, les théâtres anciens, et qu'il ne fût un homme de bon sens. Il s'attribue le mérite d'avoir introduit la règle des vingt-quatre heures; et cela vers le tems où le cardinal de Richelieu se mêlait de conseiller les auteurs, et même de travailler avec eux; « Cette règle du tems, dit-il, sembla d'abord si étrange, qu'elle fit prendre tout ce que j'en disais pour les rêveries d'un homme qui, dans son cabinet, eût formé l'idée d'une tragédie qui ne fut jamais, et qui ne pouvait être sans perdre tous ses agrémens. Enfin, la raison a peu à peu surmonté les mauvais sentimens de l'ignorance, et fait croire, presqu'à tout le monde, que l'action du théâtre devait être renfermée dans un tems court et limité, suivant la règle d'Aristote (1). »

On a dit et imprimé bien des fois que la Sophonisbe de Mayret (jouée en 1629) était la première tragédie régulière qui ait paru sur notre théâtre, la première où les trois uni

de l'unité de lieu, et des vingt-quatre heures. Il s'en moque de tout son cœur. C'est une chose curieuse que de voir combien il est vif et agréable sur cette matière.» (FONTENELLE, Vie de Corneille.)

Il y a eu aussi un sieur Pichou, assassiné étant encore fort jeune, à Dijon, sa patrie; il avait composé plusieurs pièces, entre autres une traduction de la Filli di Sciro, de Bonarelli; un sieur d'Isnard, médecin de Grenoble, et son ami, fit imprimer cette pièce après la mort de Pichou, qu'il justifia de ne pas avoir observé les unités de jour et de lieu... C'est une tyrannie, dit-il, pour le poëte, qui ne peut éclore ses inventions ni ses pensées que dans la liberté de son esprit. Ces bornes sont trop étroites pour y recevoir de beaux sujets. » (Hist. du Théâtre français, tome Iv.)

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(1) Pratique du Théâtre, par le sieur Hedelin, abbé d'Aubignac. Paris, 1657; Sommaville. 1 vol. in-4°.

tés fussent observées. Voltaire lui-même l'a répété comme les autres; le fait n'est pourtant pas rigoureusement vrai; et il serait plus exact de dire que cette tragédie était moins irrégulière que la plupart de celles qu'on publiait alors. En effet, 1o il s'agit, dans les deux premiers actes, de l'amour, de la jalousie et de la mort du vieux Syphax, dont Massinisse prend la place dans le reste de la pièce, d'où résulte une duplicité d'action; 2° il se passe une nuit dans l'intervalle du troisième au quatrième acte; et la pièce finit le lendemain du jour où elle a commencé; 3° l'action se passe tout entière dans le même palais; mais il y a plusieurs fois défaut de liaison de scène (1); et de nouveaux personnages paraissent dans un vestibule ou dans un appartement qui ne peut pas être le même lieu où se trouvaient les personnages de la scène précédente. Il fallait qu'on changeât la décoration, ou que les spectateurs supposassent ce changement.

Rotrou suivit le torrent; et, comme il travailla fort jeune et avec beaucoup de précipitation, et entraîné par une imagination très-vive, il se mit peu en peine des règles.

Corneille lui-même commença par faire des essais, comme je l'ai déjà dit; de ses six premières pièces (qui étaient des • comédies), il en composa trois dans toute l'irrégularité qui régnait alors; et il en réduisit trois aux règles des unités.

Son génie et ses réflexions le conduisirent à sentir l'utilité,

(1) Ces défauts de liaison de scène se trouvent au quatrième acte, scène quatrième; au cinquième acte, scènes quatrième et sixième. Il y a d'autres changemens de décoration à la première scène du troisième acte, et à la huitième du cinquième. —On dit qu'il y a défaut de liaison de scène, lorsque le théâtre reste vide, et qu'il y entre de nouveaux personnages, lesquels n'ont ni entendu ni vu les personnages dont la sortie a laissé le théâtre vide. La liaison des scènes, dit Corneille, est un ornement; mais cet ornement, comme l'observe Voltaire, est devenu d'une nécessité indispensable.

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