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ENCYCLOPEDIQUE,

OU

ANALYSES ET ANNONCES RAISONNÉES

DES PRODUCTIONS LES PLUS REMARQUABLES

DANS LA LITTÉRATURE, LES SCIENCES ET LES arts.

I. MÉMOIRES, NOTICES,
LETTRES ET MÉLANGES.

EXTRAIT d'un MÉMOIRE qui a pour titre :
DE LA MATIÈRE,

SOUS LES RAPPORTS DE L'HISTOIRE NATURELLE;

Par M. BORY DE SAINT-VINCENT;

Lu à la Société d'histoire naturelle, en novembre, et à l'Académie des sciences, en décembre 1823.

les

Le sens du mot MATIÈRE est trop vague pour que sciences puissent l'employer sans le définir. Chaque science en donne donc une définition convenable à son objet; mais, dans toutes, il désigne les substances dont les corps sont formés. A la rigueur, l'histoire naturelle n'en a pas besoin son but est de classer et de décrire ; elle se borne à l'observation des formes et des qualités extérieures; et, si elle divise les corps pour étudier leur structure intérieure, elle évite soigneusement de décomposer leurs parties, de les altérer, de rien changer dans

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la combinaison actuelle de leurs élémens. Si le naturaliste se renferme dans les limites de la science, l'idée de matière ne se présente point à son esprit; mais, s'il veut tenter quelque excursion dans les domaines de la physique et de la chimie, ou reconnaître les frontières entre les différentes divisions des sciences naturelles, indiquer avec précision les points de contact, les pénétrations mutuelles, les enclaves, préparer ce qui est nécessaire pour former, de toutes ces divisions, un ensemble bien assorti, sans lacunes ni confusion; c'est alors qu'il doit s'attacher à fixer le sens des termes généraux et abstraits qu'il ne peut se dispenser d'employer. La métaphysique a répandu ses ténèbres sur tous les sujets qu'elle a traités, et les perpétue au moyen du langage qu'elle a créé : le mot matière est un de ceux qu'elle a le plus obscurcis; pour l'éclairer de quelque lumière, il faut commencer par oublier ce qu'on en a dit, et ne point chercher hors de la nature les notions que ce mot exprime.

Au mois de décembre 1823, M. Bory de Saint-Vincent lut à l'Académie des sciences un mémoire, où il propose une classification méthodique des différentes sortes de matière que l'histoire naturelle peut admettre. Cette classification n'est pas fondée sur des considérations abstraites, mais sur des faits que le savant auteur discute avec sagacité. Comme naturaliste, il s'arrête aux limites de l'univers visible à l'aide des instrumens dont les observateurs ont acquis l'habitude, et auxquels ils peuvent se fier. Il pense que l'on s'expose à de graves erreurs en employant des microscopes qui grossissent plus de mille fois; que les corpuscules observés avec un

moindre grossissement, et par des modifications plus simples de la lumière qui transmet leur image, sont nécessairement plus semblables à cette image, et par consé quent mieux connus; il propose donc de fixer les bornes du pouvoir amplifiant des microscopes destinés aux observations d'histoire naturelle, et de s'en tenirà ceux où l'image n'a pas plus de mille fois la grandeur de l'objet.

que

Dans l'état actuel de nos instrumens d'optique, aucun naturaliste ne sera moins circonspect' que M. Bory de Saint-Vincent. Il est certain que les images trop agran dies sont tout-à-fait méconnaissables, et que les formes n'y sont pas moins altérées que les couleurs. Mais, lörsqu'il s'agit de fonder une théorie, suffit-il d'exclure les données inexactes? Ne faut-il pas rassembler toutes celles la question exige, et par conséquent, pousser l'analyse des faits jusqu'au dernier degré que notre intelligence puisse atteindre? Si nous n'avons rien à espérer du perfectionnement des microscopes, nos recherches seront dirigées vers un autre but : nous étudiérons avec plus de soin les diverses modifications de la lumière à la surface des êtres microscopiques, et à travers les fentilles; nous essaierons de parvenir à la connaissance de la forme réelle des objets, au moyen de ces images confuses et défigurées que présentent nos instrumen's : nous aurons à résoudre des problèmes plus compliqués; plus difficiles, mais analogues à ceux dont les anamorphoses (1) offrent quelques solutions. Il semble plus

(1) Images recomposées au moyen de miroirs ou par quelque autre effet d'optique.

convenable d'ajourner une théorie, lorsqu'on ne peut l'édifier qu'entre les limites, non de notre intelligence et de notre savoir, mais de nos moyens matériels d'observation. La puissance de ces moyens matériels, ou instrumens, suit les progrès de nos méthodes, et profite de tout ce qu'elles acquièrent: on ne peut donc la mesurer isolément, ni, à plus forte raison, l'employer comme

mesure.

L'attention scrupuleuse avec laquelle M. Bory de Saint-Vincent veut que l'on choisisse les observations, garantit l'exactitude de celles qu'il a faites. En pénétrant, suivant son expression, dans ce monde invisible, dont Leuwenhoek fut le Colomb, la matière s'est constamment présentée à lui dans cinq états parfaitement distincts: états qu'il ne regarde point comme primordiaux et élémentaires, mais qui, dès qu'ils sont constitués, peuvent former, par leur combinaison, la plupart des êtres existans.

Ainsi, M. Bory de Saint-Vincent admet cinq sortes de corpuscules, auxquels il applique le nom de matière, parce qu'il les regarde comme les substances les plus simples que l'on puisse apercevoir dans les corps, sans le secours de l'analyse chimique. Il donne à chacune de ces matières un nom caractéristique, d'après ses propriétés les plus remarquables, et il les classe dans l'ordre

suivant:

muqueuse.
vivante.

MATIÈRE végétative.

cristallisable.

terreuse.

La matière muqueuse se manifeste dans l'eau soumise à l'action prolongée de l'air et de la lumière. Elle revet les cailloux du fond des ruisseaux et des rivières d'un enduit qui les rend très-glissans. Elle est sensiblement ' onctueuse au toucher : elle prend quelquefois la consistance d'une gelée. Les animaux aquatiques en sont plus ou moins couverts, et M. Bory de Saint-Vincent pense qu'il faut lui attribuer la viscosité des eaux de la mer : d'autres naturalistes objecteront que cette viscosité n'est sensible que dans la couche superficielle, qu'elle ne peut être produite que par des substances assez légères pour se fixer dans cette couche, et que la matière muqueuse est spécifiquement plus pesante que l'eau,

Afin de déterminer quelques points de l'espace immense qui sépare le règne minéral du végétal, M. Bory de Saint-Vincent propose de placer la matière muqueuse en tête du règne végétal. C'est cette matière dont il a formé un genre qu'il nomme chaos. En prenant ce mot dans son acception primitive, il rappelle effectivement l'idée de matière, car le chaos n'était que la matière sans organisation. Mais, si la substance que notre naturaliste désigne par ce mot est un rudiment d'organisation, il eût peut-être fallu lui imposer un nom qui rappelât ce caractère distinctif.

La matière vivante, selon M. Bory de Saint-Vincent, est composée de globules parfaitement ronds, qui sont le monas termo (1) de Muller: ces globules sont dans

(1) Le plus petit et le plus simple des êtres microscopiques actuellement décrits.

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