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approchent autant de la perfection qu'Iphigénie en Aulide et qu'Athalie.

Ceux qui disent ou qui répètent que Racine n'est qu'un copiste, un servile imitateur des Grecs, ou manquent de connaissances, ou manquent de bonne foi; de ce que Racine a emprunté trois sujets de tragédies (1) à Euripide, il ne s'ensuit pas qu'il n'ait fait qu'imiter le poëte grec; ce qui constitue l'identité de deux tragédies, ce n'est pas que le sujet soit le même, c'est qu'elles aient le même nœud et le même dénoûment, c'est que les personnages aient les mêmes caractères, les mêmes physionomies; or, quiconque a comparé la Phèdre de Racine à l'Hippolyte d'Euripide, l'Iphigénie en Aulide du poëte français à celle du poëte grec, sait que Racine a emprunté au poëte ancien de fort beaux détails, qu'il a souvent embellis, mais que ses tragédies diffèrent des pièces grecques dans le nœud, dans les incidens, dans les dénoûmens; que ni Phèdre, ni Hippolyte, ni Achille, ni Iphigénie, ne sont chez Racine les mêmes personnages que chez Euripide.

Et l'on veut donc oublier que Racine a composé Britannicus, Mithridate, Andromaque, Bajazet, Bérénice, Esther, Athalie, dont assurément il n'a pas emprunté les sujets à Euripide ni à Sophocle!...

J'ai lu dans un journal anglais (2) que Racine avait tout emprunté des anciens, les plans de ses pièces, les caractères de

(1) Les Frères ennemis, Iphigénie en Aulide, et Phèdre.

(2) Edinburgh Review, February 1816.--Le journaliste dit, en parlant de Racine : « Il ne manque qu'une seule chose à ses pièces ; c'est qu'elles soient de lui. Il ne peut pas plus être considéré comme l'auteur d'Iphigénie, par exemple, que La Fontaine ne peut être regardé comme l'auteur des Fables d'Ésope. » Si La Fontaine n'est pas l'auteur des Fables d'Ésope, il est bien l'auteur des siennes. Le sujet, le texte, si l'on veut, vient d'Ésope; mais le commentaire est mille fois supérieur au texte.

ses personnages; que son style seul lui appartenait; on affirmerait, je crois, avec plus de raison tout le contraire. Ce que Racine a le plus emprunté des Grecs, c'est son style.

Graiis ingenium, Graiiæ dedit ore rotundo

Musa loqui (1).

Cet éloge, donné aux Grecs par Horace, ne convient pas moins à l'auteur d'Athalie. Ce grand poëte doué d'une organisation parfaite, d'une sensibilité exquise, de la plus belle imagination, et du jugement le plus sain; passionné pour la langue grecque, au point d'avoir appris par cœur, dans sa première jeunesse, le roman d'Héliodore (2), entreprit de se faire un style qui pût rivaliser avec celui des Sophocle et des Euripide, et j'ajouterai qu'il y parvint. Laissons quelques étrangers, faute de bien connaître notre langue, dire qu'elle n'a point de prosodie, point d'accent, point d'harmonie; mais ne le répétons pas, nous qui sentons la musique des vers de Racine et de nos autres grands poëtes.

Voltaire, encore très jeune, commença par imiter l'OEdipe Roi de Sophocle; mais on le força d'y mettre un amour ridicule, qui assurément n'était pas dans le grec; et quant au cinquième acte de Sophocle, qui est si pathétique, il fut obligé d'y renoncer, ne pouvant, à l'époque où il composa sa pièce, le transporter sur notre théâtre.

On prétend qu'à une représentation de son Oreste, il s'é

(1) HORAT., de Arte poet., v. 323.

(2) Il y a dans le roman de Théagène et Chariclée un épisode de l'Athénienne Déménète, amoureuse de Cnémon son beau-fils, qu'elle accuse devant son père du même crime dont Phèdre accuse Hippolyte. On trouve, dans cet épisode, le germe de cette jalousie que Racine a prêtée à Phèdre, et qui fait un si bel effet dans sa tragédie.

criait avec un transport d'enthousiasme : Applaudissez, braves Athéniens, c'est du Sophocle tout pur! mais la pièce grecque n'a point les rôles de Pylade et de Pammène, que le poëte français y a introduits; il se trouve aussi beaucoup d'autres différences dans l'exposition, dans la marche des deux pièces, et même dans leur dénoûment; ajoutez que l'Oreste français n'a point les chœurs grecs.

Et d'ailleurs, combien d'autres grands ouvrages Voltaire a-t-il créés, sans en rien emprunter aux Grecs! Zaïre, Alzire, Mérope, Mahomet, Sémiramis, l'Orphelin de la Chine, Tancrède, Brutus, etc. Son génie a agrandi notre scène tragique; il y a montré de grandes oppositions, de grands contrastes de mœurs, de nations, de croyances; les Espagnols et les Américains, les chevaliers français et les Musulmans, les Chinois et les Tartares; il a mis en action des vues profondes de politique et de philosophie; il a été le plus pathétique de nos poëtes tragiques; et, comme le dit Hugh Blair, il en a été aussi le plus moral et le plus religieux; son style brille de l'éclat le plus vif; il séduit, il entraîne, et ne laisse pas aux spectateurs le loisir d'apercevoir les défauts qui peuvent se trouver dans la contexture de quelques-unes de ses pièces.

Plusieurs autres poëtes français ont aussi fait des imitations des tragédies anciennes, et nous en avons douze ou quinze environ qui sont de tems en tems représentées sur

notre scène.

Qu'est-ce que ce nombre en comparaison de celui des pièces qui composent notre théâtre français ? Nous n'avons fait d'ailleurs que ce qu'ont fait, comme nous, les autres nations de l'Europe qui ont une littérature; toutes ont étudié, traduit, imité le beau théâtre grec. Pourquoi donc ne parle-t-on que des imitations françaises? ne serait-ce pas parce qu'elles sont les plus connues de toutes? et ne sont-elles pas les plus connues, parce

qu'elles sont (1) supérieures de beaucoup à toutes les autres? Entre ces imitations, la seule qui se tienne près de l'original, est le Philoctète de la Harpe; toutes les autres s'éloignent plus ou moins de la tragédie grecque qui leur a servi, si l'on veut, de modèle.

Et je ne puis m'empêcher de rendre ici à la mémoire de mon respectable ami Ducis une justice que les critiques, mème français, semblent avoir refusée à son génie. Aucun n'a remarqué ce que notre poëte a ajouté de beau et d'admirable, de son invention, à l'OEdipe à Colone de Sophocle. Chez le poëte grec, OEdipe ne pardonne point à son fils, il le renvoie chargé de sa haine, qu'il n'a point laissé fléchir aux prières de Polynice, et il le chasse après l'avoir accablé de malédictions; il semble que Sophocle, qui avait à se plaindre de ses enfans ingrats, se soit peint lui-même dans le personnage d'OEdipe, et qu'il ait voulu montrer à ses fils un courroux inflexible; OEdipe meurt et emporte sa colère dans le tombeau;

(1) Il y a une Phèdre anglaise d'Edmund Smith. Hippolyte y est accusé d'inceste par un ministre d'état dont l'ambition veut perdre le jeune prince; Thésée condamne son fils à la mort, et le met entre les mains de Cratandre, son capitaine des gardes, à qui il ordonne d'obliger le coupable à se tuer lui-même avec l'épée qu'il a laissée dans les mains de Phèdre; on vient en effet annoncer au roi que ses ordres ont été exécutés et qu'Hippolyte n'est plus; Phèdre ensuite s'accuse elle-même, ou plutôt accuse le ministre calomniateur; Thésée est au désespoir; mais arrive un dénoûment semblable à celui d'Adélaïde Duguesclin; le fidèle Cratandre, au lieu de faire périr le prince, l'a sauvé, et le rend à l'amour de son père et de la jeune Ismène. Il était difficile de gâter davantage le sujet si tragique de la mort d'Hippolytė; il n'est pas étonnant que le chef-d'œuvre de Racine soit plus connu et plus admiré en Europe que la froide pièce de Smith, qui luimême a imité, dans plusieurs endroits, le poëte français; mais cette pièce est estimée en Angleterre pour l'élégance de la versification.

mais que la scène, dans la pièce de Ducis, est plus belle et plus touchante! OEdipe d'abord ne s'y montre pas moins irrité que dans Sophocle; le poëte français a imité, a surpassé peut-être les imprécations terribles qui sont dans le grec; OEdipe va jusqu'à dire à son fils :

Avant qu'OEdipe ému s'ébranle à ta prière,

L'astre éclatant du jour me rendra la lumière.

Mais Polynice redouble ses supplications; il pleure aux genoux de son père; et le vieillard attendri, vaincu par l'amour paternel, ne tarde pas à s'écrier :

Dieux puissans que j'atteste !

Dieux, vous que j'invoquais pour sa punition,
Enchaînez, s'il se peut, ma malédiction!

J'ai calmé mon courroux, calmez votre colère.

Viens dans mes bras, ingrat; retrouve enfin ton père.
Que le jour un moment rentre encor dans mes yeux,
Pour embrasser mon fils, à la clarté des cieux!

POLINICE.

Quoi! vous m'aimez encor? Quoi! déjà votre haine...?

OEDIPE.

Crois-tu qu'à pardonner un père ait tant de peine?

Après cette réconciliation, la mort peut venir pour OEdipe; il mourra du moins soulagé d'un grand fardeau, celui de sa haine pour un fils.

On me pardonnera sans peine cette petite digression, que l'équité autant que l'amitié m'a fait faire; j'ai voulu réparer un oubli qui me semble inexcusable. (1) Comment se fait-il que, nous autres Français, nous soyons si peu disposés à relever

(1) La Harpe passe très-légèrement sur la pièce de Ducis, qui a, dit-il, imité Sophocle en homme de talent. M. de Rochefort, dans ses réflexions sur la pièce grecque et sur la pièce française (tome Iv de la nouvelle édition du Théâtre des Grecs, dit, en passant : « OEdipe se refuse à la demande que lui fait Polynice de venir sous les murs

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