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place. Pour l'histoire des religions, par exemple, sans parler du petit chef-d'œuvre de Lessing, intitulé Éducation du Genre humain, la Symbolique de Creuzer, qu'un digne élève de l'École normale a donnée à la France, a laissé fort en arrière, malgré tous ses défauts, les aperçus un peu légers de Herder. Winckelman et M. Quatremère de Quincy l'ont aisément surpassé, pour ce qui se rapporte aux arts de la Grèce. MM. de Schlegel, que Herder a produits peut-être, ont pénétré bien plus avant dans la littérature romaine, grecque et orientale. Heeren, dans ses recherches sur les relations commerciales des peuples anciens, a répandu de nouvelles lumières sur cette partie importante et obscure de l'histoire de l'humanité. Enfin depuis Herder la connaissance des systèmes philosophiques a été comme renouvelée. Mais il y aurait une extrême injustice à demander à celui qui est le père de tous ces travaux la profondeur de savoir que ses successeurs ont portée dans leurs études spéciales. Il y aura toujours quelque chose d'un peu superficiel, ou au moins d'insuffisant, dans toutes les histoires universelles, comme il est du sort des histoires particulières de ne pas joindre toujours à la solidité de la critique et de l'érudition des vues spéculatives qui embrassent un vaste horizon.

Tel est l'état de la science historique en Europe: de solides travaux ont été entrepris et accomplis sur chaque sujet, sur chaque époque; il s'agit aujourd'hui de les réunir, et d'en former un grand tout qui joigne l'exactitude des détails à l'étendue des idées générales; qui, après avoir été, comme l'ouvrage de Herder, le résumé et la mesure des connaissances humaines au moment de son apparition,

devienne à son tour un point de départ pour une décomposition nouvelle et pour de nouvelles recherches particulières, plus exactes encore et plus approfondies que les précédentes, qui prépareront un résumé nouveau, une nouvelle histoire universelle, et toujours ainsi, au profit de l'humanité et de la science. Pour moi, sans détourner les yeux de l'histoire générale de l'humanité, je m'efforcerai surtout de traiter avec soin et en détail la branche spéciale de l'histoire de l'humanité qui m'est confiée, l'histoire de la philosophie; et pour achever cette introduction, je consacrerai la prochaine leçon à vous rendre compte des plus importants travaux dont l'histoire de la philosophie a été la matière depuis un siècle.

DOUZIÈME LEÇON.

DES HISTORIENS DE LA PHILOSOPHIE.

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Sujet de la leçon : Des grands historiens de la philosophie. Conditions d'un grand développement de l'histoire de la philosophie: 1° un grand développement de la philosophie elle-même; 2° un grand développement de l'érudition. - Le premier mouvement de la philosophie moderne a été le cartésianisme; le cartésianisme devait produire et il a produit une histoire de la philosophie qui le représente. — Brucker. Son caractère général; ses mérites et ses défauts. - Le second mouvement de la philosophie moderne est la lutte du sensualisme et de l'idéalisme à la fin du xvIe siècle. De là

deux histoires de la philosophie dans des directions opposées Tiedemann et Tennemann. Leur caractère général. Leurs mérites et leurs défauts.

:

Si, dans l'individu, la réflexion est la faculté qui entre la dernière en exercice, et si, dans un peuple et dans une époque, la philosophie, qui représente la réflexion, se développe après tous les autres éléments de ce peuple et de cette époque, et si c'est du XVIII* siècle que date la culture approfondie de l'histoire en général, il faut en tirer cette conséquence que l'histoire de la philosophie, qui marche à la suite de l'histoire des autres branches de la civilisation, ne devait avoir sa place qu'au XVIIIe siècle. Le XVIIIe siècle a pour caractère éminent, parmi tous les siècles, le sentiment de l'humanité. C'est au XVIIIe siècle que, pour la première fois en grand, l'humanité a commencé à s'intéresser à elle-même 1. Elle s'y serait donc manqué à ellemême, si elle avait négligé l'étude et l'histoire de ce qu'il y a de plus important en elle, l'histoire de la réflexion, de la raison, de la philosophie. Mais, outre ce motif général, des causes spéciales, plus actives et plus fécondes, développèrent, au XVIIIe siècle, l'histoire de la philosophie.

Recherchez, je vous prie, à quelle condition on peut s'occuper sérieusement de l'histoire d'une science quelconque c'est à la condition qu'on s'y intéresse très - sérieusement. Faites la supposition d'une science

'Sur ce caractère du xvi siècle, voyez la ire leçon du volume suivant qui présente une esquisse complète du xvIIe siècle dans toutes les parties de l'Europe comme dans toutes les branches des connaissances humaines.

décriée et presque totalement négligée; certes il faudrait avoir un bien grand luxe de curiosité pour se livrer à l'histoire d'une pareille science. Remarquez que l'histoire n'est pas chose facile, qu'elle exige des travaux longs et pénibles, dans lesquels on ne s'engage pas sans un grave motif; et ce motif ne peut être que le vif intérêt que la science nous inspire. Il faut aussi avoir beaucoup étudié cette science et la bien connaître, sans quoi on n'entendra rien à son histoire. Mettez un homme qui n'ait pas cultivé les mathématiques en présence de l'ouvrage d'Euclide, d'abord il ne s'y intéressera pas, ensuite il n'y pourra rien comprendre. Cela est évident pour les mathématiques; cela n'est guère moins vrai pour les sciences morales, pour la jurisprudence, la législation, l'histoire politique en général. Comment celui qui n'est pas familier avec les idées sur lesquelles roulent les sciences morales, qui n'a pas médité sur les problèmes qu'elles renferment, pourra-t-il comprendre les solutions qui en ont été données dans les différents siècles? Il en est de même, et à plus forte raison, de la philosophie. Il serait étrange qu'on pût comprendre les livres des philosophes sans avoir étudié les questions philosophiques. Ici surtout l'intelligence historique est en raison directe de l'intelligence scientifique. Il suit de là que, dans toute époque où la philosophie ellemême n'aura pas excité un haut intérêt et n'aura pas été cultivée avec le plus grand soin, on ne se sera guère occupé de l'histoire de la philosophie, et on n'aura pu la comprendre. Au contraire, supposez une époque où la philosophie fleurisse, là aussi fleurira l'histoire de la philosophie. Un grand mouvement philosophique est donc

la condition indispensable et en même temps le principe certain d'un mouvement égal dans l'histoire de la philosophie. Tout grand mouvement spéculatif contient en soi et tôt ou tard produit nécessairement son histoire de la philosophie, et même une histoire de la philosophie qui lui est conforme; car ce n'est jamais que sous le point de vue de nos idées propres que nous nous représentons les idées des autres. Appliquons ceci au XVIIIe siècle.

Pour savoir si, au XVIIIe siècle, il a pu y avoir de grandes histoires de la philosophie et quel a dû être le caractère de ces différentes histoires, il faut rechercher si le XVIIIe siècle a produit un grand mouvement philosophique et quel a été le caractère de ce mouvement. Or le XVIIIe siècle a donné une vaste impulsion à la philosophie, donc l'histoire de la philosophie a dû y prendre un grand développement; et le XVIIIe siècle ayant produit des écoles philosophiques très-diverses, le XVIII® siècle a dû avoir des histoires de la philosophie très-diverses aussi. On peut à volonté étudier les différentes histoires de la philosophie dans les écoles philosophiques qui ont dû les produire, comme on étudie les effets dans leurs causes; ou de même qu'on étudie les causes dans leurs effets, on peut suivre les écoles philosophiques dans leurs résultats derniers, dans leurs histoires de la philosophie. Ainsi, pour étudier et pour caractériser les différentes histoires de la philosophie que le XVIII siècle a produites, il est de toute nécessité que nous jetions un coup d'œil sur les écoles philosophiques du XVIIIe siècle.

La philosophie moderne est à la fois la fille et l'adversaire de la philosophie du moyen âge. Le caractère de la philosophie du moyen âge est la soumission à une auto

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