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ropéenne et la Charte. Oui, c'est la Charte, présent volontaire de Louis XVIII, la Charte, maintenue par Charles X, la Charte, appelée à la domination en France et destinée à soumettre, je ne dis pas ses ennemis, elle n'en a plus, je l'espère, mais tous les retardataires de la civilisation française; c'est la Charte qui est sortie de la lutte sanglante de deux systèmes qui aujourd'hui ont également fait leur temps, la monarchie absolue et la démocratie. Aussi d'un bout de l'Europe à l'autre cette Charte fixe tous les regards, fait battre tous les cœurs, rallie tous les vœux et toutes les espérances. Des imitations malheureuses ont assez manifesté l'ardente sympathie du midi de l'Europe pour ce dernier et glorieux résultat du long travail de notre nation. Nos anciens adversaires eux-mêmes se sont empressés de réclamer l'œuvre de la monarchie nouvelle. Les bords du Rhin appartiennent à des imitations excellentes quoique imparfaites de notre belle constitution: la Bavière, le Wurtemberg, le pays de Bade, ont aujourd'hui des gouvernements représentatifs, et déjà circulent dans le Nord et arrivent jusqu'à la Baltique des essais de gouvernement représentatif à des degrés inférieurs dans des états provinciaux. Certes, depuis 1815, la civilisation européenne est loin d'avoir reculé : loin de là, elle s'est de toutes parts développée : et, je le répète, cette Charte qui sortit des ruines de Waterloo couvre aujourd'hui la plus grande et la meilleure partie de l'Europe, et elle est attendue et invoquée par le reste 1. Or, si c'est un fait incontestable que l'avenir de

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Que de progrès encore depuis 1828! La monarchie constitutionelle s'est aujourd'hui répandue dans toute l'Allemagne, l'immobile Autriche exceptée. La Prusse se prépare à se joindre à ce grand mouvement. Le

l'Europe lui appartient; si c'est un fait plus incontestable encore que le présent et l'avenir de la France lui appartiennent, examinons rapidement ce que c'est que cette Charte appelée à de telles destinées.

Il semble au premier abord que la Charte consacre l'ordre social antérieur au XVIIIe siècle et que le XVIIIe siècle a renversé. En effet, j'y vois un roi, une monarchie puissante, un trône fort et respecté; j'y vois une chambre des pairs investie de priviléges, entourée de la vénération universelle ; j'y vois une religion qui, prenant nos enfants dès le berceau, enseigne à chacun de bonne heure ses devoirs en ce monde et la fin de cette vie. Voilà dans la Charte un élément qui ne sort pas de la révolution française. Il y est pourtant, et il faut qu'il y soit, il faut qu'il s'établisse de jour en jour davantage et qu'il regagne sans cesse et du respect et de la puissance. Mais n'y a-t-il que cet élément dans la Charte? Non. Je vois à côté du trône une chambre des députés nommée directement par le peuple, et intervenant dans la confection de toutes les lois qui fondent et autorisent toutes les mesures particulières, de telle sorte que rien ne se fait dans le dernier village de France où la chambre des députés n'ait la main. Voilà un élément tout nouveau. J'en entrevois auparavant quelque image dans quelques assemblées ou quelques corps de judicature : mais c'en est l'image plus que la réalité; il n'est véritablement que dans les vœux du XVIIIe siècle et dans les essais informes de la révolution française. Nous avons donc ici, d'une part un élé

gouvernement représentatif s'essaye avec des tâtonnements inévitables en Espagne et jusqu'en Grèce. La base de la philosophie s'est donc affermie et agrandie.

ment de l'ancien régime, et de l'autre un élément de la démocratie révolutionnaire. Comment ces éléments sontils dans la Charte? De fait ils y sont, et leur union est si intime que le plus habile publiciste est très-embarrassé de définir et de délimiter en théorie l'action propre de chacune de ces deux branches du pouvoir souverain et qu'il y a une heureuse obscurité sur le droit de l'une et de l'autre à la suprématie. Notre glorieuse constitution n'est pas la fiction mathématique de l'équilibre artificiel du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, vaines abstractions qu'il faut laisser à l'enfance du gouvernement représentatif; notre constitution, c'est la fusion réelle du roi et du peuple, cherchant ensemble la meilleure manière de gouverner, et d'être utile à la commune patrie. Ce n'est pas tout dans la Charte, encore à côté des priviléges de la chambre des pairs, je trouve l'accessibilité de tous les Français à toutes les places, en vertu de laquelle le dernier des soldats, comme l'a dit l'auteur même de la Charte, porte son bâton de maréchal de France dans sa giberne, et le dernier des Français peut, dans toutes les carrières, arriver jusqu'au pied du trône. A côté d'une religion d'État1, je vois en caractères tout aussi manifestes la liberté des cultes et la liberté de la presse, c'est-à-dire que l'instruction religieuse ne manque à personne, qu'ensuite la liberté des cultes permet de choisir dans les différentes communions de la même Église, et qu'enfin, grâce à la liberté de la presse, nulle vérité n'étant étouffée, on peut se déterminer, dans la sincérité de

La charte de 1830 a aboli toute religion d'État, et sur la proposition de M. le duc de Broglie le culte israélite a été mis au budget à côté des différents cultes chrétiens.

sa pensée, en faveur des opinions qui semblent les plus vraies. Ainsi je vois dans la Charte tous les contraires ; c'est là ce que déplorent certaines gens il en est qui n'admirent dans notre constitution que sa partie démocra tique, et qui voudraient se servir de celle-là pour affaiblir tout le reste; il en est d'autres qui gémissent de l'introduction des éléments démocratiques, et tournent contre eux la partie monarchique de la constitution. Des deux côtés égale erreur, égale préoccupation du passé, égale ignorance du temps présent. Des deux côtés sont des personnes dont l'âge est infiniment respectable, et qui n'étant pas les enfants de cette époque sont parfaitement reçues à ne pas comprendre le XIXe siècle et sa mission. Mais, grâce à Dieu, tout annonce que le temps, dans sa marche irrésistible, réunira peu à peu tous les esprits et tous les cœurs dans l'intelligence et l'amour de cette charte qui contient à la fois le trône et le pays, la monarchie et la démocratie, l'ordre et la liberté, l'aristocratie et l'égalité, tous les éléments de l'histoire, de la pensée et des choses 1.

De tout ceci je tire cette conséquence, que si la charte française contient tous les éléments opposés fondus dans une harmonie plus ou moins parfaite, l'esprit de la charte est (passez-moi l'expression) un véritable éclectisme. Cet esprit, en se développant, s'applique à toutes choses. Déjà il se réfléchit dans notre littérature, qui contient elle-même deux éléments qui peuvent et qui doivent aller ensemble, la légitimité classique et l'innovation romantique. Sans poursuivre ces applications, je demande si,

'Sur la constitution qui convient aux grandes nations civilisées du XIXe siècle, voyez Ire série, t. III, leçon x, p. 330-342.

quand tout autour de nous est mixte, complexe, mélangé, quand tous les contraires vivent et vivent très-bien ensemble, il est possible à la philosophie d'échapper à l'esprit général; je demande si la philosophie peut n'être pas éclectique quand tout l'est autour d'elle, et si par conséquent la réforme philosophique entreprise en 1816, et que je poursuivrai avec fermeté en dépit de tous les obstacles, ne sort pas nécessairement du mouvement général de la société dans toute l'Europe, et surtout en France ? L'éclectisme n'est si vivement attaqué par le double passé philosophique qui se débat encore au milieu de nous, que précisément parce qu'il est un pressentiment et un avant-coureur de l'avenir. L'éclectisme est la modération dans l'ordre philosophique ; et la modération qui ne peut rien dans les jours de crise est une nécessité après. L'éclectisme est la philosophie nécessaire du siècle, car elle est la seule qui soit conforme à ses besoins et à son esprit, et tout siècle aboutit à une philosophie qui le représente. C'est là ma plus intime conviction. Elle n'est pas d'hier; mais je sais bien que ce n'est pas en un jour qu'on la communique; je sais bien que je parle aujourd'hui en 1828, et non pas en 1850.

Les leçons que j'ai eu l'honneur de faire devant vous pendant ce trimestre sont une introduction générale à mon enseignement ultérieur. Cet enseignement doit être l'histoire de la philosophie. Maintenant que nos principes théoriques et nos principes historiques sont bien déterminés et fixés, nous pourrons nous orienter à notre aise dans l'immense carrière qui est devant nous; nous pourrons à volonté nous arrêter tantôt à une époque et tantôt à une autre, nous transporter d'abord sur les hauteurs de

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