Slike stranica
PDF
ePub

cette éloquence si surprenante, que chaque auditeur, sans y penser, en imitait quelque chose, pour mieux s'en rendre compte; le mouvement se communiquait aux tribunes, et l'on ne sait où cet effet de tarentule se serait arrêté, si M. Freslon n'avait disparu tout-à-coup, en jetant un cri suprême qui perça, comme le sifflet des locomotives, le brouhaha que faisaient douze cents personnes pouffant de rire.

LA COMMISSION DE CONSTITUTION

12 mai 1848.

L'Assemblée nationale a décidé qu'elle nommerait par scrutin de liste, à la majorité absolue, une commission de dix-huit membres, chargée de présenter un projet de constitution. Cette résolution a été laborieusement mise au jour après une discussion de trois bonnes heures, durant laquelle vingt ou trente bons orateurs ont pris, repris, surpris la parole, ceux-ci proposant un mode, ceuxlà un expédient, ceux-ci un chiffre, ceux-là un autre, et les moins inventifs, mais non pas les moins loquaces, se contentant de proposer un petit perfectionnement au mode, à l'expédient, au chiffre du préopinant. Messieurs, je veux dire citoyens, je demande que la Chambre.., je veux dire l'Assemblée, élise directement les commis

saires. Citoyens, je pense que les commissaires doivent être nommés moitié par les bureaux, moitié par l'Assemblée. -Messieurs, j'estime que la commission doit être composée de neuf membres. -Citoyens, selon moi, neuf membres ne suffiraient pas; il en faut douze. — Citoyens, il me semble clair qu'il en faut dix-huit. Citoyens, si la commission n'a pas vingt membres, elle ne fera rien qui vaille. - - Citoyens, n'agissez point sans réflexion, je vous en conjure, et nommez vingt-cinq commissaires. - Citoyens, citoyens, prenez garde! Si vous voulez m'écouter un instant, vous serez convaincus qu'une commission de constitution ne peut être composée de moins de trente-six personnes. Citoyens, pour une commission de cette importance, trente-six membres? J'en demande cent cinquante!...

Chacune de ces propositions amène avec elle un petit discours, souvent deux, quelquefois trois; en outre, elle est amendée et sous-amendée, et les amendements et sous-amendements produisent aussi leurs discours. Le Président ne sait où entendre, l'Assemblée perd entièrement le fil. Elle broie, elle écrase tous ces amendements; ils renaissent. Un premier vote avait résolu que la commission serait formée de trente-six membres, un second vote décide qu'elle n'en aura que dix-huit. Beaucoup de bons esprits auraient désiré que la commission fût nommée en partie par les bureaux, afin qu'on y pût faire entrer les capables qui n'osent pas ou ne veulent pas encore aborder la tribune, et que, par cette raison, l'Assemblée ne connaît point. Pensée sage, un moment accueillie. M. Crémieux a fait observer que les membres élus dans les bureaux auraient une position inférieure à ceux de leurs collègues qui seraient choisis en réunion générale.

Cette belle raison a triomphé. L'on peut prévoir que la commission de constitution sera composée, en général, de faiseurs de livres et de faiseurs de discours. Hélas! quelques hommes de bon sens n'y seraient pas de trop, čependant!

Nous signalons le citoyen Francisque Bouvet comme un des plus tenaces discoureurs de l'Assemblée. Il est proprement de ces gens que les Italiens nomment seccatore. Point de séance où il n'apporte plusieurs fois à la tribune son visage froid et sa parole blême. Et pourquoi, juste ciel ! L'Assemblée, dès qu'elle le voit paraître, commence à crier miséricorde; mais rien ne le touche, il déduit ses axiomes. Il sera redoutable pendant la canicule.

Un autre à qui l'on criait : Assez ! assez ! a répliqué magnifiquement qu'une révolution avait été faite pour qu'il eût le droit de parler, et qu'il fallait l'entendre. Eh! Monsieur, n'abusez pas! n'oubliez pas que votre droit de parler, c'est pour ceux qui vous écoutent le cruel devoir de s'ennuyer.

L'Assemblée a adopté le chapitre de son Réglement, relatif aux pétitions. Elle a décidé que les pétitionnaires ne pourraient être admis à sa barre. Un article additionnel a été proposé par divers représentants, anciens députés de la Gauche. Ils demandaient que le ministre à qui l'on aurait renvoyé une pétition fût tenu de dire à l'Assemblée, dans la huitaine, quelle réponse il avait faite. M. Hortensius-Saint-Albin a dit, là-dessus, qu'il fallait montrer au peuple qu'on a égard à ses requêtes. L'Assemblée a souri, voyant passer ce long bout d'oreille.

Un homme jeune, de haute taille, de figure remarquable, est à la tribune. C'est le citoyen Napoléon Bonaparte. On fait silence. Il demande communication des

documents diplomatiques relatifs aux affaires d'Italie et de Pologne. Un Bonaparte à la tribune française! O révolution!

Après cette apparition, qui intéresse le public, M. Degousée, questeur, propose aux représentants le signe distinctif qu'ils porteront dimanche à la fête des trois arbres et des jeunes filles en blanc : ce sera un petit ruban où pendront les faisceaux de la République. Ils porteront cela à leur boutonnière. L'Assemblée baissait les yeux en écoutant ces détails de toilette, et M. Degousée ne s'en acquittait pas sans quelque embarras. Quelle affaire pour des hommes qui ont à donner à la France une Constitution!

LA TOURBE ORATOIRE.

12 mai 1848,

La séance s'est perdue presque tout entière en dissertations à bâtons rompus et en éclaircissements sur des difficultés futiles. Cet inconvénient menace de se renouveler assez souvent, Il y a dans l'Assemblée quelques centaines d'hommes éloquents, à l'accent méridional, qui ont une soif de parler étrange. Au moindre prétexte, ils s'élancent à la tribune, d'où ils épanchent de vieilles phrases arrondies qui sentent effroyablement la pro

« PrethodnaNastavi »