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LA SALETTE (1).

Opera Dei revelare et confileri honorificum est.

27 octobre 1847.

I. Le samedi 19 septembre 1846, vers midi, deux petits bergers, un garçon de onze ans et une fille de quinze, tous deux très pauvres, très simples et très ignorants, paissaient leurs troupeaux sur une montagne écartée de la paroisse de la Salette, au diocèse de Grenoble. Ils n'étaient

du même hameau et ne se connaissaient que de la veille. Par une chaleur brûlante, les deux enfants cherchaient un peu d'ombre et de fraîcheur au fond d'un ravin, près d'un ruisselet alimenté par la fonte des

(1) Nouveau récit de l'apparition de la sainte Vierge sur les montagnes des Alpes, par Mgr Villecourt, évêque de La Rochelle,

neiges, où l'instant d'auparavant ils avaient trempé leur pain. Tout-à-coup, une dame d'une éblouissante beauté leur apparut. Elle était vêtue d'une robe blanche et d'un manteau d'or, et portait un diadème étincelant. Les enfants eurent peur. La dame s'avança vers eux, les rassura, et, leur parlant avec beaucoup de tristesse, elle leur dit que le peuple était menacé de grands malheurs s'il ne cessait de transgresser la loi de son Fils. Elle se plaignit surtout du blasphème, de la violation du Dimanche et de l'inobservation des lois de l'Église. Sa prière, dit-elle, avait détourné les fleaux préparés pour punir tant de crimes; mais cette prière même ne suffirait plus, et la colère divine ne se laisserait désarmer que par la conversion des pécheurs. Elle annonça que les pommes de terre seraient gâtées, que le blé semé ne rendrait rien, que les petits enfants, agités de convulsions, mourraient dans les bras de leurs mères, que les riches feraient pénitence par la faim. Cependant la piété et le retour à Dieu pourraient encore conjurer ces désastres. Elle recommanda aux enfants de prier eux-mêmes plus assidûment qu'ils ne l'avaient fait jusqu'alors. Elle donna à chacun d'eux un secret à garder, que l'autre ne connut point; et ensuite, leur ayant ordonné de répéter à tout le peuple ce qu'ils avaient entendu, elle s'éloigna de quelques pas vers le haut du ravin, s'éleva un peu de terre, demeura encore ainsi quelques instants parfaitement visible, puis se fondit insensiblement comme un peu de neige aux rayons du soleil. La tête disparut la première, puis les bras, puis tout le corps. Il ne resta qu'une trace lumineuse qui bientôt se dissipa. Les deux enfants, étonnés, se regardèrent. Il faut, se dirent-ils, que ce soit une grande sainte.

Mais l'heure de faire rentrer les troupeaux n'était pas encore arrivée. Ils attendirent jusqu'au soir, et ce fut alors qu'ils racontèrent ce qu'ils avaient vu. On se moqua de leur crédulité. Cependant ils parlaient avec tant de feu et d'énergie; leurs dépositions, entendues séparément, s'accordaient si bien; ils étaient si fermes, si insensibles à toutes les séductions et à toutes les menaces, et, quoiqu'ils eussent conservé toute leur simplicité, un changement si extraordinaire se faisait remarquer en eux, qu'il fallut bien les croire. Leur sincérité était évidente. Toutes les hypothèses possibles d'une supercherie dont ils auraient été si involontairement les complices furent promptement envisagées et écartées. Le lendemain, jour de dimanche, le maître du petit garçon lui commanda d'aller tout dire avant l'office au curé de la Salette, qui ne savait rien encore. C'était un bon vieillard; son grand âge le forçait au repos, et il était sur le point de quitter des fonctions devenues trop rudes pour lui. Il écoute le berger, l'interroge jusque dans les moindres détails, et, convaincu que cet enfant ne ment pas, il raconte en sanglotant, du haut de la chaire, tout ce qu'il vient d'apprendre. Le même jour, tandis que le maire soumet les deux enfants à un interrogatoire minutieux, plusieurs habitants de la Salette se rendent sur le lieu du miracle. Rien n'y frappe leurs yeux; ils remarquent seulement le jaillissement abondant et limpide de la fontaine près de laquelle la dame s'était assise. Cette fontaine, toujours tarie dans les temps de sécheresse, ne coulait pas la veille. Depuis lors, elle a coulé en toute saison, et de nombreux malades se sont guéris en buvant de

son eau.

L'étonnante nouvelle ne tarda pas à se répandre dans

tout le Dauphiné, dans toutes les Alpes, dans toute la France, excitant la piété des uns, la dérision des autres. Tandis que le vénérable évêque de Grenoble, procédant suivant les règles sages de l'Église, prenait de lentes et sérieuses informations et défendait à ses prêtres de parler en chaire d'un événement qui faisait le sujet de tous les entretiens, les journaux éclataient en injures contre lui et contre tout le clergé. Nous avons cité dans le temps quelques passages du Constitutionnel, du Siècle et du National, où les accusations de fourberie, de mensonge, d'imbécillité se mêlaient à des considérations de haute politique et de philosophie, pour conclure invariablement que l'apparition de la sainte Vierge était une fable de prêtres, inventée uniquement dans le but d'abrutir le peuple et peut-être de l'affamer.

Au milieu de tout ce bruit, de nombreux visiteurs, les uns par religion, les autres par curiosité, se rendaient de toutes les parties de la France à la petite ville de Corps, où les deux bergers avaient été recueillis, afin de les voir et de les interroger. On les montrait sans difficulté aucune, et ces deux enfants subirent ainsi, durant l'espace d'un an, plus d'un millier d'interrogatoires. Les relations qu'on en a faites, tant manuscrites qu'imprimées, sont nombreuses; toutes constatent ce caractère indélébile de bonne foi, de simplicité, d'évidence qui a entraîné la conviction des premiers témoins. Dailleurs, le pays entier exhale encore la suave odeur du miracle. Le peuple a repris les pratiques de piété chrétienne qu'il avait presque abandonnées. Plus de blasphèmes, plus de travail le dimanche, plus de mépris des lois de l'Église, et partout un respect inaccoutumé des lois humaines. Depuis l'événement du 19 sep

tembre, il n'y a pas eu un seul délit grave à constater dans tout le canton. En même temps, les preuves de la puissance et de la bonté de la Vierge y abondent. Les aveugles voient, les sourds entendent, les paralytiques se lèvent et marchent. Ces simples paysans n'ont pas cherché à nier ce qu'ils voyaient, ni à s'armer contre Dieu de sa miséricorde. Ils se sont convertis, et Dieu a démenti ses menaces: au lieu de la famine annoncée, l'abondance est venue; ils ont reconnu et adoré Celui qui ne veut point la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive.

Chose digne de remarque ! Dans la foule de ceux qui ont accueilli avec le gros rire de la stupidité ou avec la colère de l'intelligence impie les premiers détails du miracle, il ne s'est trouvé personne pour aller soumettre au contrôle de son scepticisme les faits dont on niait si violemment la réalité. Cette supercherie sacerdotale, si c'en est une, valait pourtant la peine d'être découverte, prouvée, démontrée à toute la France. Aucun homme de bonne volonté, parmi tant de savants incrédules, ne s'est piqué de rendre à l'esprit humain ce signalé service. Est-ce appréhension instinctive de la vérité? Est-ce impossibilité reconnue de contester des faits inexplicables mais certains? Ce qui est positif, c'est que l'incrédulité n'a pas relevé le défi que lui jetait depuis un an la foi des populations. Le 19 septembre de cette année, célèbre par tant de faits marquants arrivés dans un monde que les bienfaits de l'éducation et des lumières empêchent de croire aux apparitions de la sainte Vierge; le 19 septembre de l'année Teste, Praslin et Beauvallon, le Dauphiné a vu d'innombrables pèlerins visiter pieusement la montagne de

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