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A quoi servirait de le taire ? Il y en a parmi eux, et beaucoup, qui n'exigent ce qu'ils ne peuvent obtenir que pour n'avoir point reçu ce qu'il fallait leur donner. La croyance en Dieu, la charité du prochain, le bénéfice de tous les dévouements que la foi suscite su sein des populations chrétiennes, tel est l'héritage auquel a droit tout homme qui naît dans une société fondée sur la parole de Jésus-Christ; telle est l'équitable part que cette société lui doit faire, ou tout au moins doit s'efforcer de lui procurer. C'est pour elle une obligation sacrée. Si elle y manque, elle est coupable et elle sera punie. Elle n'aura ni forces, ni ressources, ni lois qui ne deviennent impuissantes à la tirer du péril où elle se met; car elle ne manque pas seulement à l'humanité; elle viole les conditions mêmes de son existence; elle s'applique le seul poison peut-être qui puisse détruire le robuste tempérament que Dieu lui avait fait.

La France est née de l'Évangile. C'est l'Évangile qui fit d'elle une nation puissante, illustre par son génie, par sa foi, par ses magnifiques entreprises. L'Évangile est pour ainsi dire dans notre sang, il y reste malgré nous; contrefait, mutilé, déshonoré, on l'y reconnaît encore, et son influence est manifeste jusque dans nos erreurs. Or, l'Évangile est une loi de liberté, mais surtout d'égalité. Si les chefs de la société ne savent pas nous donner la liberté et l'égalité chrétiennes, le Peuple, qui garde de ces deux biens une notion confuse, qui en sent l'absence et qui sait qu'il y a droit, fera, dans son ignorance, d'incessants et d'horribles efforts pour les conquérir, tels qu'il les peut désirer lorsque Dieu ne l'inspire plus.

Pour éviter ces tentatives redoutables, il lui faut la connaissance des vérités saintes qui aident à supporter

l'inégalité sociale; et à ceux qui sont au-dessus de lui, la connaissance, l'amour, la pratique des vertus, des lois qui font un devoir de secourir le malheur. Il lui faut cette foi qui apporte avec elle la patience dans l'infortune et la certitude d'un avenir heureux; il faut que cette même foi inspire à ses supérieurs la charité qui le soutiendra dans son attente.

Est-ce là ce que la société donne au Peuple? Hélas! nous le rappelons aujourd'hui avec autant de regrets que nous avons mis souvent d'amertune à nous en plaindre : non-seulement la société ne s'est pas employée à répandre dans le peuple les lumières et les consolations de la vérité religieuse, mais encore, par un inconcevable aveuglement, elle a repoussé les efforts volontaires qui s'offraient à la suppléer. Elle a, autant qu'elle l'a pu, tari le fleuve saint du sacerdoce; elle a mieux aimé avoir des soldats, des révolutionnaires et des émeutiers que des moines et des prêtres; elle n'a pas voulu que la Religion pût former des serviteurs du peuple et montrer les joies de l'autre vie à ceux qui ne connaissent de celle-ci que ses douleurs. Elle ne l'a pas voulu, elle ne le veut pas.

Qu'arrive-t-il ? Le pauvre, ainsi abandonné, livré aux tortures du besoin, aux suggestions de l'ignorance, aux délires de l'orgueil, s'éloigne en rugissant des heureux qui sont ses ennemis. Il se coalise avec tout ce qu'il y a de passions et d'inimitiés implacables toujours armées contre l'ordre social, quel qu'il soit; avec tout ce que la société a repoussé, frappé, banni, flétri, n'importe à quel titre. Comme pour mieux exprimer sa fureur, il permet à ces mains souillées d'écrire sur des drapeaux leurs cyniques devises; puis il attend son jour.

Nous voyons ce qu'il sait faire lorsqu'il le croit venu.

SECOURS AUX ARTISTES.

16 juillet 1848.

Les Lettres, les Théâtres et les Arts n'ont pas été moins terriblement frappés que la Banque et l'Industrie, par la révolution de Février; les événements de juin sont venus leur donner un dernier coup. Les théâtres chôment depuis trois semaines; ils n'ont point profité de la permission qui leur a été donnée de se rouvrir, et de longtemps ils ne reverront la foule. Les ateliers des artistes sont vides, comme ceux des fabricants; il ne se fait ni un tableau, ni un portrait, ni une statue, ni une gravure; aucun livre, aucune brochure même ne paraît. Toute cette population d'esclaves favoris de la richesse, qui montait sur les planches, qui taillait la pierre et le marbre, qui maniait la plume et le pinceau pour divertir les heureux

de ce monde, semble frappée de mort, comme le frivole et vain bonheur dont elle vivait. Un certain nombre de . gens de lettres, de musiciens, d'artistes, quelques-uns même assez distingués pour avoir autrefois obtenu des récompenses et des distinctions, ont sollicité le salaire des ateliers nationaux. Combien d'autres sont réduits aux secours que peuvent encore leur offrir quelques amis, menacés d'être demain aussi pauvres qu'eux!

L'on chercherait en vain la trace d'un essai quelconque tenté pour vaincre une si grande détresse. La République en est à son cinquième mois, et aucune production intellectuelle de quelque valeur n'a illustré cette ère de développement sans limites. Les poètes n'ont pas chanté, les peintres n'ont pas peint, les philosophes n'ont pas parlé; la satire et la caricature elles-mêmes ont fait silence. Toutes ces voix, naguère si promptes, si moqueuses, si hardies, les voilà muettes; elles se taisent, elles cèdent la place à des paroles, à des plumes, à des crayons dont aucun terme ne peut exprimer l'ineptie et la bassesse. Pourquoi nos artistes et nos lettrés n'ont-ils pas essayé de faire concurrence à ces barbares et de leur arracher au moins le sou dont le peuple achète leurs farces immondes? Ils ne peuvent; quelque chose les avertit qu'ils n'y réussiraient pas. D'un côté, la bourgeoisie n'a envie ni de lire, ni de rire, et les tristes pensées qui l'assiégent glacent l'imagination des artistes, qui sont aussi des bourgeois; de l'autre, la foule méprise cet art qui a toujours trop de réserve et de finesses pour elle. Que M. de Lamartine lui-même fasse un Père Duchêne; sa prose échouera dans les faubourgs. On n'y veut pas seulement les idées, mais encore le style de Colfavru. Il en est de même en toute espèce de travail d'esprit. L'ère

philippienne a sombré comme un navire en pleine mer; et ceux qui ont prédit à Paris le sort de Gomorrhe n'ont pas besoin d'attendre que l'abîme s'entrouvre, leurs oracles sont accomplis. Rien ne reste vivant d'une époque dont le paisible et hautain mépris pour toutes les idées morales a plus offensé la justice divine peut-être que ne le font les fureurs sauvages qui en sont aujourd'hui la conséquence et la punition. Cette philosophie menteuse, cette littérature impudique, cet art lascif, ce théâtre obscène, toutes ces fleurs empoisonnées, la couronne et l'insolence de la grande ville, tout cela est englouti dans la vase quasi-desséchée du fleuve d'or où l'usure et l'avarice laissent boire la débauche et la frivolité.

Nous n'afficherons point d'hypocrites regrets. Si les théâtres chôment, si le roman-feuilleton ne va plus, ni aucune espèce de roman; s'il n'y a pas, dans toute la France, un imprimeur qui consente à faire les frais d'un volume de chansons ou de méditations philosophiques; s'il n'y a plus de commandes pour les trois quarts de nos peintres et de nos sculpteurs, la vérité est que nous en sommes tout consolés, dans la profonde conviction que l'esprit humain n'y perd rien du tout et que la morale y gagne immensément.

En quoi importe-t-il au bonheur de la France et au progrès de l'humanité que M. Sue vende ses livres et M. Clésinger ses bacchantes? que tant de peintres, de lithographes, de graveurs, de mouleurs, étalent aux vitres tant de déshabillés? que le corps des ballets soit si nombreux et si bien entretenu? Quelle nécessité y a-t-il que Paris renferme plus d'écrivains et produise plus d'articles et de feuilletons à lui seul que la France et le monde entier n'en veulent lire et n'en peuvent lire? Au

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