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chantaient l'air: Marlborough est mort et enterré. Arrivés au milieu de la salle, ils se mirent à danser. Et la Convention d'applaudir1 à cette indécente mascarade, qui lui était une insulte!

Seul, le Comité de salut public n'avait pas encore parlé. Hébert sentant avec effroi que Robespierre avait l'œil sur lui, prit le parti de provoquer une explication. Le 21 novembre, au club des Jacobins, il se plaignit timidement de certains faux bruits qu'on faisait courir, disait-il, pour diviser les patriotes. N'était-on pas allé jusqu'à prétendre que Robespierre voulait le dénoncer, lui Hébert, et, chose plus invraisemblable encore, dénoncer Pache? Puis, ardent à mendier la faveur des Terroristes, il reprit ses déclamations meurtrières contre « les complices de Brissot, » ajoutant : « Quand on a jugé Capet, il fallait juger sa race. Je demande qu'on en poursuive partout l'extinction2. »

Robespierre se leva, et, s'emparant d'une phrase dont Hébert s'était servi : « Est-il vrai, dit-il, que nos plus dangereux ennemis soient « les restes impurs de la race de <<< nos tyrans? » Début terrible! Et la suite y répondit. Hébert dut comprendre dès lors qu'il ne lui servirait de rien de s'abriter dans la Terreur, de se blottir derrière la guillotine. Robespierre continua: «Est-il vrai encore la principale cause de nos maux soit le fanatisme? Le fanatisme! Il expire. En dirigeant toute notre attention contre lui, ne la détourne-t-on pas de nos véritables dangers? Vous craignez les prêtres! Et ils abdiquent...... Ah! craignez, non leur fanatisme, mais leur ambition; non l'habit qu'ils portaient, mais la peau nouvelle dont ils se sont revêtus... Le fanatisme est un animal féroce et capricieux; il fuyait devant la raison poursuivez-le

que

1 Voyez le Moniteur du 22 novembre 1795.

:

2 Voyez la séance des Jacobins du 21 novembre 1793, dans l'Hist. parlement., t. XXX, p. 275.

à grands cris, il retournera sur ses pas... Que des citoyens, animés d'un zèle pur, viennent déposer sur l'autel de la Patrie les monuments inutiles et pompeux de la superstition, la patrie et la raison sourient à ces offrandes. Que d'autres renoncent à telle ou telle cérémonie et adoptent l'opinion qui leur semble la plus conforme à la vérité, la raison et la philosophie peuvent applaudir à leur conduite. Mais de quel droit l'aristocratie et l'hypocrisie viendraient-elles mêlér leur influence à celle du civisme et de la vertu? De quel droit des hommes inconnus jusqu'ici dans la carrière de la Révolution viendraient-ils chercher au milieu de ces événements les moyens d'usurper une popularité fausse, jetant la discorde parmi nous, troublant la liberté des cultes au nom de la liberté, attaquant le fanatisme par un fanatisme nouveau, et faisant dégénérer les hommages rendus à la vérité pure en farces ridicules? Pourquoi leur permettrait-on de se jouer ainsi de la dignité du peuple, et d'attacher les grelots de la folie au sceptre même de la raison? On a supposé qu'en accueillant les offrandes civiques, la Convention avait proscrit le culte catholique. Non, la Convention n'a pas fait cette démarche téméraire, elle ne la fera jamais. Son intention est de maintenir la liberté des cultes qu'elle a proclamée, et en même temps de réprimer quiconque en abuserait pour troubler l'ordre public. On a dénoncé des prêtres pour avoir dit la messe; ils la diront plus longtemps, si on les empêche de la dire. Celui qui veut empêcher de dire la messe est plus fanatique que celui qui la dit. Il est des hommes qui prétendent faire une religion de l'athéisme. Tout philosophe, tout individu, peut adopter à cet égard l'opinion qu'il lui plaira : celui qui lui en ferait un crime serait un insensé; mais il serait cent fois plus insensé encore, le législateur qui adopterait un pareil système. La Convention nationale l'abhorre. Elle n'est point un

pas,

faiseur de livres, un auteur de systèmes métaphysiques; elle est un corps politique et populaire... et ce n'est point en vain qu'elle a proclamé la déclaration des droits de l'homme en présence de l'Etre suprême... L'athéisme est aristocratique. L'idée d'un grand Etre qui veille sur l'innocence opprimée et punit le crime triomphant est toute populaire. J'ai été, dès le collége, un assez mauvais catholique; je n'ai jamais été ni un ami froid ni un défenseur infidèle de l'humanité. Si Dieu n'existait il faudrait l'inventer. Je parle dans une tribune où l'impudent Guadet osa me faire un crime d'avoir prononcé le mot de Providence. Et dans quel temps! Lorsque, le cœur ulcéré des crimes dont nous étions les témoins et les victimes; lorsque, versant d'impuissantes larmes sur la misère du peuple, éternellement trahi, éternellement opprimé, je cherchais à m'élever au-dessus de la tourbe impure des conspirateurs, en invoquant contre eux la vengeance céleste, au défaut de la foudre populaire... Eh! quelle est l'âme énergique et vertueuse qui n'appellerait point en secret du triomphe de la tyrannic à cette éternelle justice qui semble avoir écrit dans tous les cœurs l'arrêt de mort des tyrans? Le dernier martyr de la liberté exhalerait son âme avec un sentiment plus doux, en se reposant sur cette idée consolatrice. Ce sentiment est celui de l'Europe et de l'univers; c'est celui du peuple français. Le peuple français n'est attaché nj aux prêtres, ni à la superstition, ni aux cérémonies religieuses; mais il l'est à l'idée d'une puissance incompréhensible, effroi du crime, et soutien de la vertu '. »

Voyez ce discours reproduit in extenso dans l'Hist. parlement., t. XXX, p. 274-283.

Si M. Michelet, dans son ouvrage, liv. XIV, chap. IV, eût cité ce discours, avant de l'apprécier; s'il eût reproduit les attaques que cette vigoureuse harangue contient, et contre les fauteurs de superstition, et contre l'intolérance, quel que soit son masque; s'il eût cité cette

Ainsi parla Robespierre.

Lorsque Caton maintenait, contre César, que l'âme est immortelle, était-ce pour établir victorieusement une thèse métaphysique? En aucune façon. Laissant de côté les raisons tirées de la métaphysique pure, raisons éternellement controversables et controversées, Caton poussait à l'adoption du dogme de l'immortalité de l'âme, parce que ce dogme lui paraissait de nature à contribuer à la prospérité et au perfectionnement des sociétés humaines. De même, lorsque Jean-Jacques Rousseau, dans son Contrat social, posait les bases d'une religion « civile, » c'est-à-dire dégagée de toute superstition et indépendante du pouvoir des prêtres, ce qu'il avait en vue, c'était l'apostolat de certaines croyances qui, fondées sur le sentiment et non sur la dialectique, s'adressant au cœur plutôt qu'à l'esprit, servissent de lien moral entre les hommes, et protégeassent leur association, que tendent sans cesse à troubler ou à détruire le choc des passions, la lutte des intérêts et la divergence des idées. Eh bien, Robespierre pensait en ceci comme Caton, il pensait comme Jean-Jacques. Ne jugeant les questions méta-physiques que dans leurs rapports avec les principes constitutifs de la sociabilité humaine, ce qu'il combattait dans l'ATHEISME, c'était son corollaire politique, l'ANARCHIE. Or, l'anarchie ayant pour effet d'abandonner chacun à

phrase: Tout philosophe, tout individu peut adopter à l'égard de l'athéisme l'opinion qui leur semble la plus conforme à la vérité : quiconque voudrait lui en faire crime est un insensé; » si enfin M. Michelet eût remarqué ou mis son lecteur en état de remarquer que Robespierre défendait ici, non la liberté particulière du culte catholique, mais la liberté de tous les cultes, telle qu'elle avait été proclamée par la Constitution, et telle que Chaumette dut, quelques jours après, la reconnaître.... aurait-il osé écrire ces paroles, si étranges et si injustes « Robespierre fut pris du mal des rois, la haine de l'idée? » La haine de l'idée, c'était Hébert qui l'avait, quand il prétendait empêcher Laveaux d'imprimer qu'il croyait en Dieu.

ses propres forces, ou, en d'autres termes, de laisser
sans protecteur le faible, le pauvre, l'ignorant, Robes-
pierre concluait de là que ni l'ignorant, ni le pauvre, ni
le faible, ne sont intéressés à la proclamation de l'athéisme
comme dogme social; et voilà dans quel sens il disait ce
mot profond: L'athéisme est aristocratique. Toutefois il
n'avait garde de s'opposer à ce que chacun fût libre de
professer à cet égard « l'opinion qui lui semblerait la plus
conforme à la vérité. » Il n'entendait nullement que la
thèse de l'existence de Dieu fût bannie du domaine de la
discussion, et qu'on mît des bornes au Tradidit mundum
disputationibus eorum. Mais accoupler la loi, qui affirme,
à l'athéisme. qui nie; mais donner pour religion à une
société de frères ce qui n'est que la religion de l'indivi-
dualisme et de l'anarchie; mais immoler d'une manière
absolue au culte exagéré du rationalisme, qui dissout les
groupes, le culte du sentiment, qui les forme et les con-
serve... voilà ce que Robespierre, après Rousseau1, son
maître, jugeait contraire à la doctrine républicaine de
l'unité et de la fraternité.

Sans doute on aurait pu aller plus loin et s'élever plus
haut que l'affirmation d'un « Être suprême. » Quand
Spinosa définissait Dieu : une substance unique, infinie,
dont les deux attributs sont la pensée et la matière, et
dont les êtres finis ne sont que des modes, loin de créer
le vide dans le monde, il montrait l'Univers tout rempli
de Dieu, et en même temps il donnait vie à une conception
métaphysique qui correspond aux plus puissantes har-
diesses du socialisme moderne. Mais la Révolution ne
fut socialiste que par ses aspirations, très-vagues
encore : comment aurait-elle poussé jusqu'au pan-

théisme?

1

Robespierre termina son discours en déclarant qu'il

Voyez le premier volume de cet ouvrage, p. 402 et suiv.

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